"L'industrie a un avenir par l'innovation" : Alexandre Saubot, président de France Industrie, appelle à investir dans l'attractivité de l'Europe, de la France et dans les métiers

Alors que les difficultés s'accumulent dans le secteur de l'industrie, notamment à cause d'un contexte l'international difficile, il faut que "l'Europe se dote d'une priorité, c'est de produire sur le sol européen", selon Alexandre Saubot.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 12min
Alexandre Saubot, président de France Industrie. (RADIO FRANCE)

Au milieu des difficultés importantes du secteur de l'industrie, en termes de prix de l'énergie et de réglementations autour de la décarbonation, il faut que Bruxelles se concentre sur une "priorité", selon Alexandre Saubot, président de France Industrie, c'est de "produire plus en Europe". "Ce sera bon pour l'activité, ce sera bon pour la souveraineté, ce sera bon pour l'emploi" et de par son industrie déjà la plus vertueuse au monde, "ça sera bon pour la planète".

De même, en France, il déplore des mesures comme "le rabotage du crédit impôt recherche" ou "l'écrêtement des allègements de charges" qui sont des mesures très défavorables à l'industrie, selon lui, et qui ne favorisent pas l'investissement en France. Il attend donc du gouvernement et du Parlement des décisions qui préservent l'attractivité dans le pays.

franceinfo : L'accord obtenu comprend deux dispositifs dont le gouvernement attend beaucoup, et notamment ce contrat de valorisation de l'expérience pour faciliter l'embauche des chômeurs les plus âgés, où le salarié pourra être mis à la retraite d'office dès qu'il aura droit à une retraite à taux plein. Est-ce que vous incitez les patrons, et notamment ceux de l'industrie, à s'en saisir ?

Alexandre Saubot : On incite les patrons de l'industrie à se saisir de tous les outils qui leur permettent de garder les compétences, de faire travailler les seniors, dans ce moment où on a de formidables défis en termes de recrutement et d'évolution des métiers. Et puis ça va aussi passer par une évolution des mentalités par rapport à des pratiques qui ont pu avoir lieu dans le passé.

"Aujourd'hui, on a une responsabilité collective qui est d'augmenter le taux d'emploi, y compris des seniors."

Alexandre Saubot, président de France Industrie

à franceinfo

Il y a eu la réforme des retraites et le report de l'âge qui augmente le champ des possibles et qui va dans le bon sens. Il y a la réforme de la filière senior de l'assurance chômage, qui réduit les incitations à se séparer des gens, et tous les outils, dont ce contrat, doivent nous permettre d'améliorer encore le taux d'emploi des seniors. Après, il faut accepter que ça prenne du temps. Tous ces nouveaux outils, il faut que les gens s'en saisissent. En plus, la conjoncture n'est pas dans un de ses meilleurs moments. Il ne faut pas s'attendre à ce que ça change en six mois.

Ça reprend quand même l'idée du CDI senior qui a été porté par le Medef. De son côté, la CGT dit que ce n'est pas une avancée sociale et parle de "CDD seniors".

Ça s'adresse à des gens qui étaient au chômage, donc on va voir. Encore une fois, il ne faut pas imaginer des choses avant de voir comment réagit le marché. On s'adresse à des gens qui étaient au chômage et qui vraisemblablement sans cet outil, ne seraient pas - ou plus difficilement - revenus sur le marché du travail. Donc ça ne peut être qu'un "plus". Après, on verra les quantités, le type de profil, la durée des contrats, et si ça emmène bien les gens jusqu'à ce qu'ils puissent faire valoir leur droit à la retraite. Tous ces éléments, il faudra les évaluer dans le temps. Mais face à l'objectif des compétences, de l'augmentation du taux d'emploi des seniors - comme des autres catégories d'âge, mais celui-là est très important - se donner un outil supplémentaire et accepter de voir comment ça fonctionne, je pense que c'est d'abord un signe de responsabilité des partenaires sociaux. Il faut s'en réjouir.

Après la suppression de 1 254 postes chez Michelin il y a dix jours, le ministre de l'Industrie Marc Ferracci n'a pas caché son inquiétude pour la suite. Des annonces, des fermetures de sites, il y en aura "probablement dans les semaines et dans les mois qui viennent", selon le ministre. Est-ce que c'est votre sentiment également ? Il y aura d'autres plans sociaux dans l'industrie ?

D'abord, la conjoncture est moins bonne. On voit bien que mondialement, ça ralentit. Deuxièmement, l'Europe fait face à des difficultés importantes en termes de prix de l'énergie, en termes de surréglementation, en termes de décisions qui ont des très gros impacts. Je pense évidemment au secteur de l'automobile et au bannissement du moteur thermique en 2035.

"Ça fait longtemps que tout le monde sait que ces décisions auront des conséquences négatives pour l'emploi."

Alexandre Saubot, président de France Industrie

à franceinfo

Maintenant, ce qu'il faut regarder, ce n’est pas seulement le mouvement à court terme, c'est la tendance.

Sur quels secteurs avez-vous des inquiétudes en particulier ?

L'automobile, c'est très clair. Au-delà de la chimie, il y a tous les secteurs qui sont impactés par les conséquences de la crise en Ukraine et du décalage du prix de l'énergie entre l'Europe et le reste du monde. Et puis il y a tous les secteurs aussi qui vont être fortement impactés par le redoublement de l'intensité concurrentielle chinoise. Les surcapacités chinoises, aujourd'hui avec les droits de douane qu'il y a aux États-Unis, se déversent massivement en Europe et font peser aussi sur de nombreux secteurs des risques et des conséquences difficiles.

Le patron de Michelin Florent Menegaux justifie les fermetures de Cholet et de Vannes en disant que l'Europe n'est plus compétitive, avec une réglementation excessive et un coût de l'énergie non compétitif. Vous dites la même chose ?

Je dis qu'il faut écouter Florent Menegaux, qui est un patron engagé, responsable, attaché à son pays. Et je pense qu'il a pris cette décision parce qu'il n'y en avait plus d'autres possibles, après avoir examiné beaucoup d'autres solutions. Et je pense que nos amis de Bruxelles feraient bien d'écouter un patron compétent, emblématique et responsable :

"Bruxelles doit prendre des décisions qui donnent une chance à l'Europe de rester une belle terre d'industrie."

Alexandre Saubot, président de France Industrie

à franceinfo

Quel type de décisions vous attendez de la part de l'Europe ?

À court terme, on a un sujet très lourd, c'est la mise en œuvre de la CSRD, la réglementation sur le reporting extra-financier, qui fait peser une charge administrative démesurée par rapport à l'objectif, qui est de mieux mesurer les émissions de carbone. On va être la seule région du monde qui est capable de fixer ce niveau d'obligation pour traiter ce sujet. Tout le monde le reconnaît comme important, mais les outils qu'on nous demande de mettre en œuvre sont démesurés en coûts. On parle de milliards d'euros qui seront dépensés en cabinets d'audit et de conseil pour justifier de l'ensemble des éléments. L'argent serait mieux investi dans des vrais projets de décarbonation. Dans une entreprise comme celle que je dirige, il vaut mieux qu'on investisse dans un projet pour transformer la propulsion d'une machine, que pour faire un rapport que personne ne lira parce qu'il sert - dans 90% de ce qui est prévu - à rien.

Dans le même temps, qu'est-ce que vous craignez le plus avec l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche ? Est-ce de ne plus pouvoir exporter avec la mise en place de tarifs douaniers prohibitifs, ou est-ce de voir l'énergie américaine de plus en plus compétitive et une industrie en Europe de moins en moins compétitive  ?

"Je vais peut-être vous surprendre, mais je pense que l'arrivée de Donald Trump au pouvoir est une opportunité pour l'Europe."

Alexandre Saubot, président de France Industrie

à franceinfo

C'est une opportunité parce que comme il est très direct, comme il a posé un certain nombre de sujets sur America First, il va peut-être aider les Européens à se rendre compte qu'il faut qu'on fasse, nous aussi, preuve de capacité à se protéger, de détermination des coûts des secteurs économiques pour répondre au formidable défi, qui est la relance de la guerre économique et la fin de la mondialisation heureuse. Si l'arrivée de Donald Trump et de son côté un peu direct permet de réveiller l'Europe, je pense que ce sera in fine une très bonne nouvelle.

Et comment est ce que l'Europe peut réagir ? Ça passe par quoi ?

Je pense que ça passe d'abord très simplement par le fait que l'Europe se dote d'une priorité, c'est produire sur le sol européen. Et qu'on évalue toutes les obligations - toutes les réglementations, toutes les contraintes qui sont posées - à l'aune de : est-ce que ça va favoriser la production sur le sol européen ou pas ?

Sachant que les Etats-Unis sont le quatrième client de la France, si demain on ne peut pas exporter notre aéronautique, notre pharmacie ou nos vins et spiritueux, à quoi ça sert de les produire ?

Mais on va continuer à les exporter. Simplement, ils seront peut-être un peu plus taxés que par le passé. Il y avait déjà des droits de douane pour beaucoup de choses qui étaient exportées aux États-Unis et on va avoir une discussion avec l'administration américaine.

"Je pense qu'aujourd'hui, le sujet, ce n'est pas d'abord les droits de douane européens, c'est la priorité que doit se donner l'Europe autour du produire en Europe."

Alexandre Saubot, président de France Industrie

à franceinfo

L'Europe est la zone la plus réglementée, la plus vertueuse en termes d'environnement, donc tout ce qui est produit en Europe émet moins de carbone que s'il est produit ailleurs. Donc la meilleure façon de sauver la planète, c'est de produire plus en Europe et au sein de l'Europe, c'est de produire plus en France. Il faut que nos bureaucrates bruxellois et tous les gens qui prennent des décisions là-bas se rendent compte que la priorité doit être : créons les conditions pour qu'on produise plus en Europe. Et ça sauvera la planète. Ce sera bon pour l'activité, ce sera bon pour la souveraineté, ce sera bon pour l'emploi.

En France, on est en plein débat fiscal avec le projet de loi de finances qui arrive au Sénat. Comment est-ce que vous regardez ça, vous qui êtes à la tête de France Industrie ? Alexandre Bompard, patron de Carrefour, parle d'une fiscalité confiscatoire avec la mise en place notamment de cette contribution exceptionnelle. Qu'est-ce que vous en dites ?

Je pense qu'il faut savoir ce qu'on veut. Il faut rétablir les finances publiques et il faut préserver l'attractivité du territoire. Donc aujourd'hui, on voit une volonté de rétablir les finances publiques. On ne voit pas trop la volonté de préserver l'attractivité du territoire et les mesures aujourd'hui envisagées sur le rabotage du crédit impôt recherche, sur l'écrêtement des allègements de charges avec des mesures très défavorables à l'industrie, sont des signaux qui, à mon avis, vont inquiéter tous les gens qui réfléchissaient à faire des investissements en France. Donc il faut que le gouvernement et le Parlement, le plus vite possible, actent des décisions qui préservent l'attractivité de la France.

Le crédit impôt recherche coûte 7 milliards d'euros par an. Vous appelez à revoir cette idée de le raboter ?

Ces 7 milliards d'euros permettent de favoriser l'innovation, l'attractivité du territoire, d'embaucher des chercheurs, ce n'est pas une dépense. Ce qu'il faut, c'est que les gens à Bercy comprennent que le crédit impôt recherche, ce n'est pas une dépense, c'est un investissement pour permettre à la France d'être plus innovante et c'est notre avenir. L'industrie a un avenir par l'innovation. La décarbonation a un avenir par l'innovation. Et c'est la même chose sur les allégements de charges. On ne peut pas cibler l'effort demandé sur l'industrie qui a, tout le monde le sait, un problème majeur de compétitivité. On va travailler sur tous les autres sujets. Je pense à l'attractivité des métiers. On a la Semaine de l'industrie qui commence dès lundi prochain. Il y a 7000 événements. Ça va être l'occasion de pousser la porte de l'usine d'à côté, de se rendre compte de nos formidables métiers. Il ne faut pas que le gouvernement et le Parlement nous compliquent la vie de façon démesurée, sinon on va tous le regretter dans trois ans ou cinq ans.

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