"Le Chat" : un ChatGPT français "porteur d'une culture européenne", selon Arthur Mensch, co-fondateur de Mistral AI

Arthur Mensch est à la tête de Mistral AI et veut démontrer que l'IA générative peut se développer en France.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Arthur Mensch, co-fondateur de la start-up française Mistral AI. (RADIOFRANCE)

Mistral AI est une pépite française qui a encore levé 450 millions d'euros il y a à peine deux mois. Lundi 26 février, l'entreprise lance un nouveau modèle d'IA générative, un assistant conversationnel baptisé Le Chat. Arthur Mensch, invité éco lundi 26 février, est co-fondateur de Mistral.

franceinfo : Le Chat, ça fait penser à ChatGPT évidemment. L'idée est donc de concurrencer ChatGPT ?

Arthur Mensch : Non, l'idée, c'est plutôt de démontrer ce qu'on peut construire avec notre technologie, avec notre nouveau modèle qui s'appelle Mistral Large et qui est donc un des meilleurs modèles du monde pour raisonner. L'idée, c'est de montrer ce qu'on peut construire avec nos modèles multilingues qui sont capables de raisonner correctement, effectivement.

Pourquoi utiliserait-on votre modèle Le Chat, plutôt que celui de votre concurrent américain ?

Alors il parle très bien français, l'interface est assez différente. Et surtout, ce qui est important, c'est notre technologie portable. L'idée, c'est vraiment de montrer ce qu'on peut construire dans l'entreprise avec cette solution.

"Ce Chat peut être déployé dans un environnement d'entreprise sécurisé, il peut être connecté avec un certain nombre de données d'entreprises."

Arthur Mensch

à franceinfo

Mais à part le côté cocorico, la fierté d'utiliser un modèle français, qu'est-ce qu'il a de différent ?

La différence est qu'on a fait en sorte de le rendre le plus neutre possible. On a mis en place un système de modération au niveau global et facile à adapter. Et nous, on a lancé Mistral parce qu'on voulait créer quelque chose qui était porteur d'une culture européenne.

Donc il n'y a pas de biais, de stéréotypes amplifiés par l'IA ?

Alors, il y a toujours des biais. Il n'y a pas exactement les mêmes biais que nos concurrents américains. L'idée et la raison pour laquelle on a lancé Mistral, c'est vraiment de permettre à l'utilisateur de choisir ses biais.

En parallèle, vous lancez un modèle pour les entreprises grâce à un partenariat avec Microsoft. Vous prônez une intelligence artificielle européenne, mais pourtant vous avez besoin du géant américain pour être largement distribué. Est-ce que ce n'est pas paradoxal ?

Nous, on s'adresse aux développeurs du monde entier. Donc c'est pour ça qu'on a lancé la plateforme qui parle surtout aux start-up en intelligence artificielle. On parle aussi aux entreprises et il se trouve que les entreprises passent par le cloud. Elles passent en France, en particulier par Azure. Et donc on a besoin de ce canal de distribution pour amener l'intelligence artificielle de pointe partout où les développeurs travaillent.

Est-ce que Microsoft a été un acteur difficile à convaincre pour vous distribuer ?

Non, parce que Microsoft a aussi intérêt à distribuer plusieurs acteurs. Et donc on a une discussion très constructive à propos d'un partenariat de revente.

C'est-à-dire qu'ils ont également un intérêt financier ?

Oui. Alors évidemment, ils servent une solution qui est la nôtre et eux servent surtout l'infrastructure. Nous on sert le logiciel sur l'infrastructure.

Microsoft est actionnaire à 49 % d'Open AI, la maison mère de ChatGPT. Ça ne vous pose pas de problème particulier ?

Non, dans le domaine de la tech, on a toujours beaucoup de coopération et de compétition. Je pense que c'est plutôt une bonne chose. Ça a toujours été le cas et on embrasse la compétition avec joie. C'est ce qui fait les meilleures technologies.

Vous avez deux associés qui ont travaillé chez Meta. Vous-même venez de Google. Il y a un an, vous n'existiez pas. Vous avez aujourd'hui 30 salariés. Comment est-ce que vous pensez concurrencer Google ou Microsoft ?

Ce qu'on a démontré effectivement avec mes co-fondateurs, c'est qu'on pouvait aller très vite dans le sujet. L'intelligence artificielle, c'est un domaine où il faut avoir les bonnes idées et les exécuter rapidement. C'est aussi une question de capacité. C'est pour ça qu'on a fait ces levées de fonds, mais je pense qu'aujourd'hui, ce qu'on montre avec Mistral Large, c'est qu'on fait partie des grands fournisseurs de modèles. 

"Bien qu'on ait une équipe réduite, on a joué sur la vitesse d'exécution, qui est due à cette équipe réduite."

Arthur Mensch

à franceinfo

Quel est le bénéfice pour l'être humain de laisser une machine réfléchir à sa place ?

Alors il ne faut pas le voir ainsi. Le bénéfice pour l'être humain, c'est qu'on facilite l'accès à la connaissance du monde. On facilite l'interaction avec les machines et donc on permet aux humains d'être créateurs plus rapidement, de faire toutes les tâches compliquées plus rapidement et de se focaliser sur leur vraie valeur ajoutée. Donc vraiment, on construit un outil qui améliore l'humain, améliore l'intelligence humaine. C'est vraiment pour ça qu'on a lancé l'entreprise.

Sauf que ça fait mieux que l'humain, ça va plus vite.

Ça permet aux humains d'aller plus vite dans leur travail et donc de faire mieux et de faire plus.

Vous ne voyez pas les dangers potentiels de l'IA générative en termes de destruction d'emplois ? Le mien, par exemple, celui de journaliste, peut être menacé par l'intelligence artificielle générative.

Non, il est plutôt amélioré. C'est-à-dire que le journaliste peut, par exemple, si on lui donne une pile des Panama Papers, investiguer très vite, très rapidement, trouver quels sujets intéressants il peut en extraire. C'est un premier exemple en investigation, c'est très important. Il peut aussi se brancher sur les informations du monde et extraire les signaux faibles qui nécessiteraient un reportage.

Et vous voyez également des sujets sur lesquels l'IA générative est particulièrement bénéfique ?

Le journalisme est un bon exemple. Dans la santé, ça permet d'aider à la décision, dans des cas où elle doit être prise rapidement. En éducation, ça permet d'avoir une très forte personnalisation des parcours éducatifs, à nouveau à la main du professeur.

Donc ça ne remplace pas les emplois.

Ça ne remplace pas, non, à chaque fois ça augmente. Alors évidemment, il faut s'entraîner, s'approprier la technologie. C'est pour ça qu'on a lancé Le Chat, parce que ça montre à une population, qui n'est pas une population de développeurs, comment utiliser cette technologie pour améliorer son travail.

L'Union européenne est la première à tenter de réguler l'intelligence artificielle avec l'IA Act. Son promoteur, le commissaire français Thierry Breton, dit qu'elle permet à la fois de promouvoir l'innovation et de mettre en place des règles pour protéger les citoyens. Est-ce que vous êtes d'accord ?

On est d'accord avec une législation qui est passée effectivement. On avait donné notre position publique sur le fait qu'il fallait vraiment mettre l'accent sur la sûreté des applications et non pas la sûreté de la technologie.

Ne pas brider l'innovation ?

Oui. Aujourd'hui, dans sa forme actuelle, l'IA Act ne bride pas l'innovation. On peut tout à fait le gérer. Et on a commencé à travailler avec les régulateurs pour mettre en place les mécanismes opérationnels d'implémentation de l'IA Act.

Votre entreprise Mistral IA n'existait pas il y a un an. Dans un an, quelle nouvelle création fera des choses à notre place ? Cette IA générative, à quoi ressemblera-t-elle ?

On ne s'arrête pas là. Aujourd'hui, nos modèles ont encore un certain nombre de problèmes quand il s'agit de raisonner sur des choses complexes. Donc on va les pousser au maximum de leurs capacités. On va rajouter des nouveaux outils pour les développeurs, pour personnaliser davantage les modèles qu'on met à disposition.

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