"Nous sommes en train de bâtir le réseau électrique des 50 prochaines années", affirme le directeur général de Nexans
Christopher Guérin est le directeur général de Nexans. L'entreprise produit et fournit des câbles électriques et des services depuis la production d'énergie, qu'elle soit éolienne, solaire, hydraulique ou nucléaire, jusqu'à sa transmission à travers des interconnexions entre les pays et les différentes zones de production et de consommation. Christopher Guérin faisait partie de la Conférence de Paris, qui rassemble de grands décideurs économiques, chefs d’entreprise, sur les enjeux du futur, ces 28 et 29 novembre, où il a notamment été intervenant lors d’une conférence sur "Électrifier le monde demain".
franceinfo : La Commission européenne a chiffré le 28 novembre, à 584 milliards d'euros, les investissements nécessaires pour moderniser le réseau électrique d'ici 2030. Qu'est-ce que ça signifie précisément ?
Christopher Guérin : C'est un chiffre, en effet, vertigineux. Pour vous donner un peu de perspective historique, vous aviez eu deux grandes vagues dans le siècle dernier, d'électrification du monde. La première a eu lieu de 1890 à 1910 et c'était la naissance des premiers réseaux électriques. La deuxième grande vague, on la connaît, c'est l'après-guerre, les Trente glorieuses, où on a bâti la génération électrique qu'on connaît et qui est essentiellement portée par le nucléaire en France, et les énergies fossiles ailleurs et les réseaux électriques. Eh bien, nous rentrons maintenant dans une troisième révolution électrique où il faut remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables et également remplacer une grande partie des réseaux électriques européens et américains qui ont plus de 40 à 50 ans d'âge et qui arrivent en fin de vie.
Cela signifie que le réseau électrique actuel n'est pas capable de supporter toute la production électrique à venir ? On sait qu'elle sera très importante.
Tout à fait, la consommation électrique au quotidien va augmenter de 20 à 30%. En effet, les véhicules électriques ont besoin d'électricité, le chauffage électrique est en train de monter et on sait également que plus on va électrifier notre quotidien, plus on ira dans le sens de la décarbonation de la planète. Donc oui, on a besoin de plus d'électricité, mais si on a besoin de plus d'électricité, il faut augmenter la bande passante également de nos réseaux électriques. C'est exactement ce qui s'est passé avec les télécoms.
C'est ce que vous êtes en train de faire et on imagine que vous avez un carnet de commandes plein sur plusieurs années ?
C'est impressionnant parce que sur la partie génération, on a évidemment la connexion des fermes éoliennes en mer, mais on va aller sourcer la puissance électrique de l'Afrique et du Moyen-Orient en puissance solaire qu'on va acheminer par des câbles sous-marins de 1 000 kilomètres de distance, 3 000 mètres de profondeur et d'un poids de 9 000 tonnes. Ce qui correspond au poids de la Tour Eiffel. On les achemine pour relier l'Afrique à l'Europe et c'est une sorte d'alternative aux pipelines de gaz de la Russie pour créer cet "Internet de l'énergie", si on peut l'appeler ainsi. Le deuxième élément est de renouveler l'ensemble des réseaux électriques.
Il faut les renouveler totalement ?
Exactement. Nos grands clients, RTE, Enedis, Eon, Enel sont en train à travers l'Europe de renouveler les réseaux. On les approvisionne en câbles pour cela.
Ça signifie que vos clients sont en train de se préparer à cette production électrique très conséquente à venir. Vous êtes en train de nous rassurer en disant qu'ils ont anticipé ce renouvellement total du réseau électrique ?
Oui, ça avance très bien et les 584 milliards d'investissement de la Commission européenne vont tout à fait dans ce sens-là. C'est le besoin effectif des cinq à dix prochaines années de renouveler ce réseau-là. On est en train de bâtir le réseau électrique des 50 prochaines années, donc il faut un investissement assez colossal.
Est-ce que vous pensez, qu'en 2035, par exemple, date à laquelle on pourra plus acheter une voiture thermique neuve, on aura un réseau qui sera tout à fait capable d'accueillir cette consommation électrique importante ?
C'est obligatoire, même si on a le choix de ne pas être prêt, parce qu'on passe des énergies fossiles au renouvelable.
"La consommation électrique va croître de 20 à 40% et donc on est obligé d'augmenter cette bande passante immédiatement."
Christopher Guérin, directeur général de Nexansà franceinfo
Votre matière première est le cuivre. Comment arrivez-vous à vous approvisionner ? On imagine que l'Europe n'est pas la seule aujourd'hui qui est en train de renouveler son réseau électrique.
Tout à fait. Le cuivre est le conducteur de l'électricité. Vous avez l'or, le cuivre et l'aluminium, mais le cuivre, en effet, est le meilleur conducteur d'électricité au monde. La problématique potentielle qui va arriver dans les prochaines années, c'est que toutes les nations se réveillent en même temps. À la fois pour le basculement de fossiles à renouvelable, mais aussi pour le renouvellement de leur réseau et le passage à l'électrique comme la Chine, qui est en train d'investir massivement dans l'électrique. Donc il y a une congestion qui se fait sur le cuivre et qui peut générer un risque de pénurie dans les deux ou trois prochaines années.
Il y a aussi un risque de prix beaucoup plus élevé ?
Bien sûr, le sujet du prix sera un sujet, mais le sujet de l'accessibilité physique est plus important. C'est pour ça que l'alternative que nous préconisons, c'est le recyclage. Comme on va démanteler des vieux réseaux, nous sommes assis sur des mines urbaines quelque part. L'alternative à un manque de cuivre primaire, est de recycler du cuivre qui a déjà été utilisé dans des câbles précédents, il y a 30 ou 40 ans.
Vous avez l'air de dire que c'est un enjeu à venir. Ça ne fait pas partie des préoccupations que vous avez, vous, en tant que patron de Nexans en termes d'approvisionnement ?
Pour l'approvisionnement, on essaye de sécuriser.
C’est-à-dire que vous faites des stocks ?
Non, on ne peut pas stocker parce que ce serait de la spéculation, mais on sécurise nos approvisionnements de cuivre primaire. En revanche, on engage déjà nos clients à penser au recyclage. Le message qu'on leur fait passer, c'est que vos déchets d'aujourd'hui sont votre croissance de demain. Donc il faut utiliser les déchets parce qu'ils sont vraiment une ressource importante pour la croissance.
Est-ce que le cuivre coûtera plus cher ? Est-ce qu'il y a un risque de pénurie ?
Il coûtera plus cher.
Est-ce que ça signifie que votre réseau électrique coûtera lui aussi plus cher et qu'au final, le prix de l'électricité augmentera lui aussi ?
On va essentiellement beaucoup utiliser le cuivre pour les véhicules électriques, qui ont besoin de deux fois plus de cuivre qu'un véhicule thermique. Par contre, les réseaux futurs sont plutôt à base d'aluminium et l'aluminium est moins cher que le cuivre en approvisionnement et nous permet de tirer des caps sur de très grandes longueurs. Donc, non, ce n’est pas aussi simple que ça. Il y a quand même des alternatives à bas coût qui existent pour le développement des réseaux.
L'électricité ne coûtera donc pas plus chère même si elle était plus chère à acheminer ?
C'est ce qu'on pense. Après, il y a un coût à la transition énergétique, mais il faut se repositionner dans le temps. On est en train de bâtir l'avenir de nos réseaux électriques, de la génération à la transmission, pour les 40 50 prochaines années.
Avec quels financements ?
Le financement européen est significatif parce que là, on parle de 584 milliards pour les réseaux électriques, mais il y a également 900 milliards pour les fermes éoliennes en mer et les fermes solaires, donc c'est assez impressionnant.
Donc vous dites que l'argent est là, qu'il est disponible et qu'il est prêt à être mis dans des réseaux électriques pour que l'électricité soit importante et à un prix raisonnable.
Oui, je suis très optimiste parce que les financements sont là. La planification stratégique en Europe commence vraiment à s'organiser. Tous les plans des clients sont assez clairs. Le seul point noir est l'accès aux ressources naturelles parce que l'ambition européenne peut être beaucoup plus importante que l'accessibilité potentielle de l'Europe aux ressources naturelles et c'est tout l'enjeu.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.