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Pour l’architecte Christine Leconte, "il faut remettre de la qualité dans la loi Logement"

Christine Leconte, présidente de l'Ordre des architectes en Île-de-France, était l'invité de "L'Interview éco" mardi 29 mai sur franceinfo, à la veille du début de l'examen du projet de la loi Logement qu'elle dénonce.

Article rédigé par franceinfo, Jean Leymarie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Christine Leconte, la présidente de l’Ordre des architectes en Ile-de-France, était l'invité de franceinfo mardi 29 mai. (FRANCEINFO)

Un débat-fleuve s'annonce à partir de mercredi 30 mai à l'Assemblée nationale, consacré au projet de loi Logement. Baptisé Élan (Evolution du logement et aménagement numérique), ce texte doit réorganiser le secteur du logement social. Les architectes y sont fortement opposés. La présidente de l'Ordre des architectes en Île-de-France, Christine Leconte, a interpellé le président de la République à ce sujet. Elle était l'invité de "L'interview éco" mardi. 

franceinfo : Depuis des semaines, vous combattez ce projet. Vous dites qu'il va produire des logements au rabais. Quel est le problème selon vous ?

Christine Leconte : Cette loi nous pose des questions. Le gouvernement a fait un sondage avant de lancer cette loi Logement. Il montrait que la majorité des Français voulaient qu'on parle de la qualité de leurs logements. On sait que la Fondation Abbé Pierre a dit qu'il y a 4% de mal-logés en France, surtout en Île-de-France, et 9 millions de Français qui sont en situation de surpeuplement. Or, on se rend compte que cette loi ne parle pas de cette qualité. Elle s'intéresse simplement au qualitatif, sans parler du qualitatif.

De son côté, le gouvernement dit vouloir s'attaquer à une urgence, le manque de logements, notamment en Île-de-France. Son ambition est de construire plus et moins cher... 

Mais, il faut aussi construire mieux. Le problème, c'est la standardisation que l'on peut craindre quand on construit plus et moins cher comme cela s'est passé dans les années 60-70. On a construit de grands quartiers qui ont permis de loger du monde, mais on voit les erreurs que cela créée aujourd'hui et la réparation de la ville qu'on fait actuellement.

Que redoutez-vous ? 

Le fait que l'on puisse oublier cette qualité importante. Les Français ont besoin d'avoir de la lumière dans leurs logements, des parties communes éclairées, des cuisines qui ne soient pas en second jour, mais devant. Toutes ces qualités pourraient disparaître (...) Actuellement, on a une loi qui garantit que les architectes soient présents de A à Z - notamment dans les logements sociaux - de la conception à la conduite du chantier, et même ensuite dans la "garantie de parfait achèvement" [une garantie qui couvre l'ensemble des désordres et des malfaçons pendant ou après les travaux]. Avec cette loi, on pourrait perdre le chantier puisqu'il n'y aura plus cette contractualisation obligatoire par la loi MOP (loi Maîtrise d'ouvrage publique). Cette loi, il ne faut pas qu'elle disparaisse (...) Elle permet de garantir la transparence de l'argent public, la concertation de toutes les populations - élus, habitants, bailleurs ou promoteurs s'il y en a dans la course - et puis ça garantit le suivi de chantier. Ce suivi de chantier, c'est ce qui permet de garantir la pérennité des matériaux, le bon choix des matériaux, comment va-t-on construire... Tout ce qui permet finalement de garantir que, à long terme, le logement va coûter moins cher. (...) Cette logique de perdre la contractualisation avec le marché public pourrait être une alerte, parce qu'on considérerait même le logement social comme un produit économique. Et ça, ce n'est absolument pas possible !

Quand on regarde la mauvaise qualité de certains logements construits dans les années 90, on se dit qu'il y a déjà des programmes qui vieillissent très mal... 

Oui. C'est la réalité. Mais, il y a aussi beaucoup de propositions d'architectes pour cette loi qui n'ont pas été entendues, notamment sur la réhabilitation. Il y a plus de 3 millions de logements à réhabiliter en France et ce n'est absolument pas au cœur de cette loi. Tous les logements à réhabiliter, on en fait quoi ? Comment vont-ils être traités ? C'est une urgence absolue, notamment pour les cœurs de ville, là où les gens n'habitent plus alors que c'est là où on a la possibilité de créer une vie en société. La deuxième chose [c'est que], si on veut créer de l'économie locale, il faut développer les filières de matériaux alternatifs. Il faut arrêter le "tout béton". Il faut penser au chanvre, à la paille et surtout au bois en structure qui sont des  matériaux qui peuvent créer des emplois non délocalisables. Cela veut dire qu'on se sert du besoin de logements comme un levier économique. Là, l'architecture prend toute sa dimension sociale, économie et environnemental.

Vous avez interpellé le président de la République à ce sujet... 

Il était sensible à ces questions-là lors de sa campagne (...) Le message qu'on lui lance, c'est : "N'oubliez pas de mettre dans cette loi Logement cette qualité architecturale." On espère un recul. On ira jusqu'au bout. C'est notre responsabilité. On a une profession d'intérêt public... 

N'êtes-vous pas aussi en train de défendre votre activité, votre chiffre d'affaires ? 

Sûrement pas. Le plus important pour les architectes et la raison pour laquelle on fait ce métier, c'est pour les Français et pour les habitants (...) Nous savons très bien que la matière qui fait la vie des gens, c'est l'intimité. Cette intimité (...), ces liens qui sont fabriqués par les lieux, c'est ça qui nous permet ensuite de nous retrouver ensemble (...) Cette loi manque d'ambition. Il faut de l'ambition.

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