UE : "La situation difficile de l'Allemagne, c'est un peu le chemin de l'union budgétaire qui est en train de s'ouvrir", selon une économiste
Jézabel Coupé-Soubeyran est économiste, maîtresse de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle coordonne un ouvrage du CEPII, le Centre français de recherche et d'expertise en économie internationale, qui paraît mercredi 25 septembre, aux éditions La Découverte. Un livre prospectif intitulé L'Économie mondiale 2025.
franceinfo : Quand on regarde le verre à moitié plein, on lit dans l'introduction : "L'économie mondiale continue de résister". C'est plutôt de bon augure pour l'année qui vient.
Jézabel Coupé-Soubeyran : Alors effectivement, on peut voir le verre à moitié plein, le verre à moitié vide. On a en effet une économie mondiale qui, sur l'année écoulée, s'est maintenue, en étant tirée essentiellement par les économies émergentes asiatiques, et en bénéficiant aussi de la politique budgétaire américaine extrêmement expansionniste. Ce qui explique ce maintien, c'est le fait que les prix de l'énergie, les prix alimentaires qui avaient flambé ne flambent plus, avec l'inflation qui est en dessous de 2% maintenant.
Mais il ne faut pas non plus crier victoire parce que l'un des principaux messages de la vue d'ensemble qui constitue le premier chapitre de l'ouvrage, c'est de dire "attention" aux défis qui sont là : la crise climatique, les tensions géopolitiques et les chocs d'offre, c'est-à-dire tout ce qui vient perturber l'offre mondiale. Quand les prix de l'énergie explosent, ça vient perturber les producteurs, l'offre mondiale. La crise climatique, ça va considérablement perturber aussi l'offre mondiale, avec des impacts forts.
Aujourd'hui, les chocs d'offre vont être multiples et ils sont notamment occasionnés par la géopolitique et par la crise écologique.
Exactement, c'est ça qu'on met en évidence. La crise écologique, c'est le changement climatique et au-delà, c'est tout le dérèglement écologique. Tout ça crée des défis énormes, parce qu'il faut rendre les économies et les systèmes productifs résilients, les rendre résilients aux tensions géopolitiques, les protéger des dépendances qui sont encore trop fortes et qui sont héritées d'un temps où la mondialisation était perçue comme la bonne organisation de l'économie mondiale.
Il faut également rendre nos systèmes productifs résilients par rapport aux impacts de la crise climatique. Donc il y a des chocs d'offre qui vont se multiplier, et ça va largement compliquer la donne des politiques économiques, parce que là, il ne s'agit plus de faire un petit réglage fin de la conjoncture. Il s'agit vraiment de mettre l'offre en capacité de résister. Les États-Unis, par exemple, l'ont compris. Ils sont dans une politique moderne de l'offre. Ils sont dans un investissement massif en Europe.
On a quand même l'impression que les économies - pas seulement les États-Unis - se sont organisées en mode productif protectionniste. On n'est plus dans la mondialisation débridée qu'on avait il y a quelques années. Et en Europe notamment, on a développé une politique basée sur la souveraineté industrielle, en matière d'approvisionnement, notamment pour les matériaux critiques. Ça, c'est quelque chose qui va rester a priori ?
Ce que nos auteurs expliquent dans l'ouvrage, c'est la situation de très grande dépendance de l'Europe dans le domaine de matières premières stratégiques. Ça inclut les métaux et tout ce qui est nécessaire pour fabriquer nos ordinateurs, nos téléphones portables, etc. Et l'Europe doit effectivement réussir à la réduire, cette dépendance.
Mais elle a commencé à le faire. Pour les matériaux critiques, les conducteurs, elle a mené une politique, plutôt volontariste.
Elle commence à le faire. Mais en termes de volontarisme, on n'a pas encore la capacité d'investissement qu'ont déployé les États-Unis. Et donc l'Europe est encore bridée du point de vue de ces investissements. Si on fait le lien avec le rapport de Mario Draghi, qui demande davantage d'investissement pour ne pas décrocher par rapport à la Chine et par rapport aux États-Unis.
Dans une période de contrainte budgétaire et alors qu'on a l'Allemagne qui est en panne...
Exactement, ce que ce que pointe le rapport Draghi, c'est cette situation de dépendance en Europe dans plein de secteurs, et donc cette recherche nécessaire de souveraineté, de moindre dépendance qui doit passer par des investissements massifs. Mais il faut se donner les moyens.
Est-ce qu'on peut le faire ? On a vu les débats actuels en ce moment en France sur les contraintes budgétaires.
Ça va beaucoup dépendre de l'Allemagne et de la situation très difficile de l'Allemagne en ce moment. Il y a un excellent chapitre dans l'ouvrage qui montre que l'Allemagne est en situation de souffrance. Son modèle économique est à la peine et ce n'est vraiment pas simplement une fatigue passagère. L'Allemagne souffre de dépendances énormes sur le plan énergétique et sur le plan commercial. Elle entend axer sa politique industrielle sur la transition écologique.
Elle va devoir faire des investissements massifs si elle reste arc-boutée sur son orthodoxie budgétaire, qu'elle impose aussi à ses partenaires européens, elle ne le pourra pas. Et au fond, cette situation difficile pour l'Allemagne, c'est peut-être quelque part une opportunité pour l'Europe, parce que l'Allemagne va enfin pouvoir réaliser le besoin d'un partage de ressources budgétaires. Un emprunt commun, c'est une des options du rapport Draghi. C'est un peu le chemin de l'union budgétaire qui est en train de s'ouvrir alors que c'était complètement bloqué.
On a vu que l'économie mondiale est très dépendante de la géopolitique, et il y a une élection présidentielle aux États-Unis au mois de novembre. Victoire de Kamala Harris ou victoire de Trump, qu'est-ce que ça peut changer pour l'économie mondiale ?
Ce que ça peut changer, c'est ce qui va se passer au niveau du commerce international. Il y a un chapitre dans l'ouvrage qui pointe les difficultés de l'Organisation mondiale du commerce, qui montre que le multilatéralisme qui prévalait il y a encore quelques décennies, eh bien est vraiment sur le fil du rasoir. Et si Trump arrivait au pouvoir et lançait la guerre commerciale qu'il a promise, alors là, ce serait vraiment le coup de grâce pour le multilatéralisme. Et ce serait l'affirmation d'un protectionnisme partout dans le monde, parce qu'il y aura forcément des représailles.
En revanche, Kamala Harris serait la continuité en termes de politique économique ?
Oui, c'est plus la continuité. Quand le chapitre sur le multilatéralisme a été rédigé, Kamala Harris n'était pas encore dans la course. Et donc la crainte, c'était vraiment de voir Trump arriver. Là, peut-être que la donne change un peu.
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