Qui est Yoro Diao, l’ancien tirailleur de 95 ans, qui s’apprête enfin à finir ses jours au Sénégal ?
Le départ de Yoro Diao était prévu vendredi 28 avril, direction Dakar, sur un vol Air Sénégal qui a décollé à 10h40 de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle. Ils sont neuf à partir, sur les 37 anciens tirailleurs qui seraient encore en France, plus cinq membres de l’association. Les neuf savent depuis janvier qu’ils ne vont plus être obligé de faire des allers-retours en vivant six mois en France et six mois au Sénégal, pour toucher leur pension. Ce sera donc le dernier voyage de Yoro Diao.
"On est nés deux fois"
L’ancien tirailleur aura donc 95 ans, ce qui laisse penser qu’il est né en 1928, même si l’établissement des dates semble compliqué lorsqu’on écoute le récit qu’il a fait en janvier à franceinfo qui était allé le voir dans son foyer à Bondy. D’autant que, comme il le dit, il est né deux fois. Dans cette colonie française à l’époque, la Seconde Guerre mondiale vient évidemment tout contrarier. Il naît en tout cas à Dagana, petit village près de Saint-Louis, dans une famille d’agriculteurs où le grand-père a fait la Première Guerre mondiale, et où beaucoup de cousins et d’oncles ont servi dans l’armée française. "Je rentre à l'école en 1935, en 1939, la guerre est déclarée, explique Yoro Diao. En 1944, on était des adolescents. On est nés deux fois. On a repris l'acte de naissance pour pouvoir entrer en sixième, mais j'avais déjà 16 ans. J'ai toujours pensé faire l'armée française, il me fallait quelque chose où on avait réellement besoin de moi."
Deux ans d’étude d’infirmier à l’issue desquelles il retourne au bureau du recrutement qui n’avait pas voulu de lui, à l’époque faute de diplôme et parce qu’il était trop jeune. Cette fois, il est autorisé à s’engager, volontairement, dans cette armée française qui l’envoie en Indochine en 1951. Il est alors infirmier major, chef des brancardiers. Yoro Diao va chercher les blessés sur la ligne de front. Il passe trois ans dans des "pluies torrentielles" et raconte les "animaux charognards qui mangeaient la chair humaine". Il sera ensuite mobilisé pour la guerre d'Algérie, pendant deux longues années. Devant le reporter de franceinfo, il arborait ses médailles sénégalaises et françaises. Intarissable sur ces périodes au front pourtant si douloureuses.
"J'ai perdu beaucoup de camarades africains et européens. Il y avait un hôpital de campagne où on faisait toutes les opérations, toutes les amputations et mêmes les trépanations. J'ai eu plusieurs citations ce qui m'a permis d'avoir ces décorations françaises. J'ai servi l'armée française avec cœur."
Yoro Diaoà franceinfo
Yoro Diao combattait encore au moment des indépendances en 1960. On parle "des indépendances" parce que les tirailleurs sénégalais regroupent tous les soldats ayant combattu pour la France depuis le second Empire et qui pouvaient aussi être Maliens, Togolais ou encore Burkinabais. Lui-même intègre ensuite l’armée sénégalaise. Et finalement rentre au pays où il entame des démarches administratives pour faire reconnaître ses années de service, via l’antenne française au Sénégal. Lui comme les autres essuient refus sur refus.
C’est à la fin des années 1990 qu’il revient en France pour pouvoir bénéficier des droits français. Un long combat dans lequel il sera aidé par l'association pour la mémoire et l'histoire des tirailleurs sénégalais présidée par une petite fille de tirailleur, Aissata Seck, une femme qu’il vénère. Ils obtiendront la nationalité française en 2017, sous François Hollande, mais continueront six mois par an de vivre loin du pays pour continuer à toucher leur pension. Finalement, c’est en janvier 2023 que Yoro Diao apprend la bonne nouvelle, le jour où franceinfo se déplace dans son foyer à Bondy pour l’interviewer. Cette décision " va rallonger nos vies", indique-t-il ce jour-là. Il y aura beaucoup de centenaires parmi nous, Inch Allah, parce qu'on aura une satisfaction morale. On va être avec nos épouses, nos petits-enfants et on parlera souvent de la France."
Au Sénégal, Yoro Diao, qui est veuf, s’installera à Kaolack à trois heures de Dakar, avec ses 12 enfants et cinq petits-enfants. Les neufs anciens du corps français des tirailleurs sénégalais seront éparpillés dans tout le pays. Mais ils savent qu’ils se retrouveront régulièrement pour les commémorations, à commencer par le 14 juillet déjà programmé à Dakar.
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