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Géométrie : l'invention des fractales lisses

L'existence d'une surface à la fois lisse et rugueuse avait été démontrée dans les années 50, mais aucun géomètre n’arrivait à imaginer à quoi cela pourrait bien ressembler. Une équipe de mathématiciens français vient pourtant de la dessiner, en détail et en 3D. 

Article rédigé par franceinfo - Hervé Poirier
Radio France
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Temps de lecture : 3min
Cette surface a été obtenue en transformant un carré en une surface torique de telle façon que toutes les longueurs soient préservées. La surface ressemble à une fractale, mais n'en est pas une ; c'est un objet géométrique plus régulier. (ILLUSTRATION) (POUR LA SCIENCE / VINCENT BORRELLI/SAID JABRANE/FRANCIS LAZARUS/DAMIEN ROHMER/BORIS THIBERT)

Hervé Poirier, rédacteur en chef au magazine scientifique Epsiloon. Hervé, nous présente aujourd'hui un nouveau type de surface géométrique, à la fois lisse et rugueuse.

franceinfo : De quoi s'agit il ? Une surface lisse et rugueuse à la fois ? 

Hervé Poirier : En géométrie, celle d’Euclide et des cours du collège, on est habitué à avoir des surfaces parfaitement lisses. Caressez un plan ou une sphère : tout est doux, sans arête blessante. Dans les années 60 et 70, le mathématicien Benoît Mandelbrot a inventé un autre genre de surface : les fractales. Si vous les caressez, vous allez sans cesse vous blesser : il n’y a que des cassures à toutes les échelles. C’est la géométrie rugueuse.  

Un groupe de 7 mathématiciens français, l’équipe Hévéa, a réussi à marier ces deux géométries en des surfaces a priori paradoxales, des surfaces à la fois lisses et rugueuses, dotées de propriétés longtemps considérées comme impossibles.  

Des propriétés impossibles ? Par exemple ? 

Ces "fractales lisses" permettent par exemple de réduire le volume d’une balle de ping-pong sans la casser. Si vous appuyez dessus trop fort, vous allez la "poquer" : une partie de la balle va s’enfoncer, en faisant apparaître des coins et des arêtes. Dans les années 50, le mathématicien John Nash avait démontré, à la stupéfaction générale, qu’il est en fait possible de réduire la taille d’une balle sans la poquer. Mais sa démonstration n’indiquait pas concrètement comment faire.

Dans les années 70, un autre mathématicien, Mikhaïl Gromov, avait exhibé le principe général gouvernant ce tour de magie. Mais, là encore, sans visualisation. Inspirée par ces deux génies, l’équipe Hévéa a, elle, montré en détail et en 3D, à quoi ressemble une balle de ping-pong réduite, sans être cassée. C’est une sorte de sphère, dont la surface est une accumulation infinie de renflements à toutes les échelles, sans aucune arête vive.

Hormis le fait que cela peut amuser les joueurs de ping-pong, quel est l’intérêt de ces travaux ?  

Là est tout la beauté des mathématiques ! Le groupe Hévéa a réussi il y a 10 ans à visualiser les fractales lisses à courbure nulle (comme le plan). Puis, il y a 5 ans, celles à courbure négative (comme notre balle de ping-pong). Et il vient d’annoncer avoir fait de même pour le dernier type de surfaces, celles à courbure positive (comme les selles à cheval).

Ce travail, pas encore publié, clôt le projet. Maintenant qu’on sait que de telles surfaces existent, qu’on en maîtrise les principes, et qu’on les visualise, gageons que quelqu’un, quelque part, y trouvera matière à une application inattendue. Il faut accepter cette "déraisonnable efficacité" : en mathématiques, la beauté de l’invention précède toujours son utilité.

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