L'année "oubliée" : mars 2020 / avril 2021
Hervé Poirier, rédacteur en chef au magazine scientifique Epsiloon nous parle aujourd'hui de ce qui s'est passé pour nous durant le confinement. De nouvelles études viennent d'être publiées, elles démontrent de façon spectaculaire comment le tempo de nos souvenirs se dilate, se compresse, ralentit et accélère en fonction de notre rythme quotidien, notamment durant cette étrange période que nous avons tous connue, entre mars 2020 et avril 2021.
franceinfo : Que s'est-il passé durant cette année 2020/2021 ? Comment avons-nous mémorisé cette période, totalement nouvelle pour nous les humains ?
Hervé Poirier : Essayez de vous rappeler. Malgré l’enfermement, elle vous a peut-être laissé quelques bons souvenirs personnels ? Elle est passée vite, non ? Et vous souvenez-vous de ce porte-conteneur longtemps bloqué dans le canal de Suez ? Vaguement ? Pour les psychologues expérimentaux, ce fut une expérience scientifique grandeur nature, à l’échelle de la planète : 3 milliards de personnes confinées chez elles en raison de l’explosion de l’épidémie de coronavirus – c’est comme cela qu’on l’appelait à l’époque.
En France, aux Etats-Unis, au Brésil, en Allemagne, ils y ont vu une occasion unique d’étudier comment chacun grave en sa mémoire l’histoire de sa propre vie. Et leurs études sont maintenant publiées – nous en avons recensé une quarantaine.
Et alors ? Que disent-elles ces études ?
Avec l’ennui, la perte de rythme, les difficultés de sommeil, toutes les études convergent : le temps, au début du confinement, s’est d’abord mis à ralentir. Lors des enquêtes, les événements récents étaient systématiquement datés comme plus anciens qu’ils ne l’étaient vraiment, comme si le sablier mettait plus de temps à se vider. Et plus les personnes se sentaient isolées, plus ce temps se dilatait.
Puis, peu à peu, avec le nouveau rythme de vie qui s’est installé, le temps s’est réaccéléré. Et a posteriori, ce temps du confinement semble compressé. Cette période semble avoir passé nettement plus vite que ce qui était rapporté à l’époque : la mémoire des événements est devenue floue.
Mis à part ceux qui sont enfoncés dans un état dépressif chronique, les gens ne se souviennent plus d’avoir eu des problèmes de sommeil, de rythme, d’ennui. Une étude britannique démontre qu’il est aujourd’hui beaucoup plus difficile de dater avec précision des événements qui se sont déroulés à cette période, que ceux qui se sont passés un ou deux ans avant...
Étrange... Quelle conclusion peut-on en tirer ?
Cela confirme le rôle de métronome par nos relations sociales. Peu de sorties, peu de rencontres, peu de moments saillants pour scander la mémoire : ce sont ces rythmes sociaux qui stabilisent nos souvenirs ; c’est l’état émotionnel qui détermine la vitesse du temps ressenti.
Cela illustre aussi notre tendance irrésistible à enjoliver le passé : alors qu’à l’époque, les participants se déclaraient massivement malheureux, ils rapportent aujourd’hui le sentiment d’avoir vécu une période plutôt agréable. Bref, cela démontre, s’il le fallait, que notre mémoire nous raconte une histoire personnelle, très subjective.
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