Les forêts migrent vers l’ouest

Au lieu de migrer vers le nord pour échapper au réchauffement climatique, les plantes forestières se déplacent vers l'ouest à cause de la pollution.
Article rédigé par franceinfo - Vincent Nouyrigat
Radio France
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Temps de lecture : 4min
Forêt de pins devant les montagnes des Dolomites en Italie. D'après la revue "Science", sur 66 espèces de plantes forestières, sur près de 3000 parcelles étudiées depuis plusieurs décennies, 39% des espèces de plantes ont tendance à se déplacer vers l’ouest, 23% vers l’est, autant vers le sud, et seulement 15% vers le nord. (Illustration) (OLEH_SLOBODENIUK / E+ /  GETTY IMAGES)

Vincent Nouyrigat, rédacteur en chef du magazineEpsiloon nous parle aujourd'hui d'une étude de la revue Science, qui démontre que les espèces végétales en Europe migrent d'une façon inattendue, et que ce déplacement est en lien avec la pollution atmosphérique. 

franceinfo : Une équipe internationale de biologistes a détecté un phénomène complètement inattendu en Europe : les arbres se déplacent vers l’ouest du continent ? 

Vincent Nouyrigat : Oui, c’est une surprise totale : tout le monde s’attendait à ce que, sous l’effet des fortes températures générées par le réchauffement climatique, les végétaux migrent en masse spontanément vers le nord, en quête de fraîcheur. Mais ce n’est pas du tout ce qui se produit sur notre continent européen.

Des chercheurs ont suivi la répartition de 266 espèces de plantes forestières, sur près de 3000 parcelles étudiées depuis plusieurs décennies, et ils sont donc tombés sur ce résultat étrange : 39% des espèces de plantes ont tendance à se déplacer vers l’ouest, 23% vers l’est, autant vers le sud, et seulement 15% vers le nord – quand bien même, on constate un réchauffement de près de 1,6 °C en moyenne dans ces zones pendant la saison printanière et estivale. 

Ce n’est certes pas une course de vitesse, on parle d’une progression de l’ordre de 3,5 km par an, mais nos forêts partent dans une drôle de direction, comme si elles étaient déboussolées.  

Mais comment expliquer cette migration ?   

En fait, c’est un autre dérèglement humain qui en est à l’origine : la pollution. En effet, les émissions liées au trafic routier, aux usines, au chauffage, à l’épandage des engrais ou des effluents d’élevage ont empoisonné l’atmosphère, mais aussi saupoudré d’azote les sols de notre continent.  

Cet azote, c’est celui qui déclenche parfois des phénomènes de prolifération d’algues vertes en Bretagne. Cet élément est un nutriment, un fertilisant très convoité qui attire certaines espèces végétales – comme les ronces, les orties ou le sureau. Les plantes les plus avides et tolérantes à l’azote – toutes n’en raffolent pas – se précipitent donc vers ces zones, et colonisent de nouveaux terrains, vers l’ouest de l’Europe qui a une longue histoire industrielle.

Il retombe encore dans certaines régions, chaque année, plus de 40 kg de cet élément par hectare, autour des grandes agglomérations, notamment au Bénélux ou dans le nord de l’Italie. Cette pollution serait donc l’un des moteurs actuels de la biodiversité forestière, un moteur insoupçonné jusqu’ici. 
 

Et avec quelles conséquences ?  

C’est encore difficile à dire, le résultat vient de tomber. Mais les forestiers et les écologues devront probablement en tenir compte, eux qui sont aujourd’hui entièrement focalisés sur l’adaptation de leurs forêts au réchauffement. Avec les normes antipollution, à terme, la forêt pourrait reprendre le droit chemin et migrer plus vers le nord.

Mais cette histoire illustre à quel point la crise environnementale que nous vivons est multifactorielle, complexe, le vivant est perturbé dans tous les sens, nos intuitions sont parfois bousculées ; et il va falloir s’y préparer, pour ne pas être dépassé.    

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