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Même les petits vers ressentent des émotions

On a tendance à les voir comme des êtres rudimentaires, dénués de vie intérieure. Et pourtant, des expériences démontrent que le comportement, face à de petits chocs électriques, de C. elegans, le nématode star des labos, affiche toutes les caractéristiques attendues pour une des émotions les plus fondamentales : la peur.
Article rédigé par franceinfo - Hervé Poirier
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
C.elegans (Caenorhabditis elegans) un tout petit vers hermaphrodite d'un millimètre de long (ici visible grâce à la microsopie électronique à balayage) est l'un des animaux les plus étudiés en biologie, et en recherche génétique. (STEVE GSCHMEISSNER / SCIENCE PHOTO LIBRARY RF / GETTY IMAGES)

Hervé Poirier, rédacteur en chef au magazine scientifique Epsiloon, nous explique aujourd'hui que des chercheurs viennent de constater que même des petits vers d’un millimètre de long ressentent des émotions.

franceinfo : Des expériences récentes sur un tout petit vers, démontrent que C. elegans affiche les caractéristiques d'une émotion ? Expliquez-nous

Hervé Poirier : Ce n’est pas n’importe quel ver. C’est C. elegans, grande star des labos, connu pour posséder un système nerveux de 302 neurones – contre 86 milliards dans le cerveau humain. Une équipe de l’Université de Nagoya, au Japon, a fait subir une expérience un peu désagréable à quelques spécimens. Ils leur ont appliqué des chocs électriques, via un courant alternatif, avec une tension de 30 V et une intensité de 80 mA, durant quelques secondes. 

Et ces chercheurs ont observé une réaction de fuite chez les petits vers : ils accélèrent leur vitesse de déplacement d’un facteur 2 à 3 pendant 1 min 30, délaissant les bouillons de bactéries présents sur leur passage (mets dont raffolent pourtant ces grands gourmands). Et plus la tension et le temps d’application augmentent, plus la réaction est forte. Pour les chercheurs japonais, cela prouve une chose : C. elegans est doué d’émotion, en l’occurrence, il ressent la peur. 

En quoi cela peut-il être qualifié d’émotion ? 

Pour être reconnue comme telle, la réaction à un stimulus doit réunir quatre caractéristiques : il faut que la réaction dure, qu’elle corresponde à un ressenti – positif ou négatif – qu’elle soit proportionnelle à l’intensité du stimulus, et qu’elle provoque des réponses qui ne lui soient pas directement liées. C’est bien ce qui se passe ici, avec nos petits nématodes. 

En analysant l’activité des neurones, les chercheurs ont constaté que, pendant la fuite, il y a une activité persistante d’un ensemble spécifique de neurones, non liée à une stimulation directe du système moteur. Sa réaction de fuite est clairement négative. Elle est proportionnée à celle du choc, et cela affecte son appétit, normalement vorace. Pour les chercheurs, pas de toute, c’est de la peur. 

Et c’est une surprise ? 

Oui. C.elegans était jusqu’ici considéré comme dénué de tels ressentis intérieurs. Cela amplifie un peu le malaise sur l’expérimentation animale. Les plus spectaculaires expériences réalisées sur C.elegans consistent à lui couper la tête pour constater qu’elle repousse. 

Surtout, cela montre que l’émotion n’est pas l’attribut noble des êtres doués d’une cognition sophistiquée. Il faut beaucoup d’attention pour avoir de l’empathie. Mais des corps aussi rudimentaires que celui de ces petits vers, sont aussi capables d’une grande sensibilité. 

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