Non, nous n’avons pas une peur innée des serpents
Contrairement à ce que l’on croit, nous, les primates, n'avons pas développé une phobie innée des serpents. Hervé Poirier, rédacteur en chef au magazine scientifique Epsiloon nous explique pourquoi.
franceinfo : La théorie scientifique dominante affirme que nous n’avons pas une peur innée des serpents, c'est-à-dire ?
Hervé Poirier : C’est la première des phobies animales, devant les araignées et les souris : l’ophiophobie, la phobie des serpents, touche 1 à 3% de la population. Et il existe aujourd’hui une abondante littérature scientifique qui défend l’idée selon laquelle cette peur serait en fait génétiquement codée.
Oui, d’après la théorie formalisée en 2006 par l’anthropologue américaine Lynne Isbell, notre cerveau serait câblé pour avoir peur des serpents. Les primates auraient évolué depuis des dizaines de millions d’années pour repérer plus rapidement ce qui serait leur pire prédateur, grâce à un circuit de détection visuel spécifique…
Et ce serait donc faux ?
Oui. Des spécialistes du Muséum national d’Histoire naturelle, de l’Université de Strasbourg et de l’Université Clermont-Auvergne viennent de mettre à bas cette idée. Ils ont d’abord souligné les biais des arguments.
Pour les primates, les serpents ont toujours été moins dangereux que les panthères, les lions, les hyènes ou les rapaces. Et quand ils se sentent en danger, les serpents envoient souvent des signaux pour signaler leur présence : ils sonnent, ils sifflent. Ce qui ne cadre pas avec la théorie. Culturellement aussi, les serpents sont loin d’avoir une image aussi négative que ça. Ils sont souvent liés à la connaissance, à la création du monde, à l’eau…
Mais surtout, les chercheurs ont pointé les faiblesses des travaux mesurant la vitesse de détection des serpents chez les primates, à la base de toute la théorie. Et ils ont décidé de réévaluer sérieusement la question.
Comment ils s’y sont pris ?
L’expérience a été menée à Strasbourg, par Karl Zeller, sur 25 macaques de deux espèces différentes, à travers plus de 400.000 essais. Le protocole consiste à mesurer la vitesse avec laquelle ils repèrent une image "intrus" parmi d’autres, ces images représentant des animaux ou de simples formes géométriques. Par exemple, repérer une image de serpent parmi trois images de félins. Ou une image de félin parmi trois images de serpents.
Les tests ont été faits, patiemment. Et la conclusion est sans appel : les macaques ne repèrent pas plus vite les serpents que les autres prédateurs. Ce qui fait s’écrouler toute la théorie. Pas impossible que Lynne Isbell, sa fondatrice, soit elle-même ophiophobique. Mais ce n’est pas une raison pour essayer de nous convaincre de le devenir. Non, nous, les primates, n’avons pas une peur atavique des serpents.
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