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Biocarburants, e-fuel... Les combustibles de synthèse défendus par l'Allemagne sont-ils vraiment "durables" ?

Alors que l'Union européenne a voté la fin des moteurs thermiques après 2035, certains acteurs du monde automobile et aérien misent quand même sur le développement des carburants issus de la biomasse ou de l'hydrogène. Franceinfo se penche sur le bilan écologique et économique de ces combustibles.
Article rédigé par franceinfo, Grégoire Lecalot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Du bioethanol E85, un biocarburant, vendu dans une station-service française. (FRED HASLIN / MAXPPP)

Sera-t-il encore possible d’acheter des véhicules thermiques neufs après 2035 ? Jusqu’ici, la réponse était clairement non. L'Union européenne a décidé d'interdire la vente de véhicules neufs à essence, diesel et hybrides après cette date afin de réduire ses émissions de gaz carbonique. Sauf que l’Allemagne est venue semer le doute. Berlin souhaite que les véhicules neufs fonctionnant avec des carburants synthétiques puissent continuer à se vendre. Mais ces carburants non-fossiles sont loin d'être une solution miracle pour réduire l'empreinte carbone du secteur des transports.

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Quand on parle de carburants synthétiques, on parle de carburants fabriqués uniquement grâce à des procédés chimiques, par opposition aux carburants fossiles tirés du pétrole. Il existe deux grandes familles de carburants fabriqués : les biocarburants et les e-carburants ou e-fuel. "Les carburants biologiques sont fabriqués à partir de la biomasse, explique Antonio Pires da Cruz, chargé d’un programme de décarbonation à l’institut de recherche public IFP Énergies nouvelles, l’ex-institut français du pétrole. Les e-carburants [électro-carburants] sont fabriqués à partir d’hydrogène, produit lui-même à partir d’électricité renouvelable - sinon pas d’intérêt - et de CO2. Le CO2 peut être soit capté dans l’air soit dans les fumées industrielles. On peut l’utiliser immédiatement dans les moteurs existants avec des bénéfices sur l’ensemble de leur cycle de vie en terme de CO2".

L'e-carburant, moins émetteur de CO2

Cet e-fuel émet des gaz polluants à la combustion, notamment des oxydes d’azote, un gaz reconnu comme toxique. L’IFP Énergies Nouvelles cherche d'ailleurs des solutions à ce problème. Mais pour ce qui est du CO2 sur l’ensemble de son cycle, production et consommation, l'électro-carburant est considéré comme 70% moins émetteur que les carburants classiques. Et c’est d’ailleurs l’argument défendu par l’Allemagne auprès des autorités européennes. Il a été tout particulièrement défendu par les libéraux-démocrates du FDP, membre du gouvernement. Mais l’Allemagne est est aussi soutenue par des groupements d’industriels du pétrole ou de l’automobile comme la célèbre firme Porsche, un des seuls constructeurs à assumer son intérêt pour le e-fuel.

Porsche a construit une usine pilote au Chili. Même si la marque veut convertir 80% de sa gamme à l’électrique, elle affirme croire au côté universel du e-fuel, comme le défend le président de sa branche française Marc Meurer : "L’immense avantage de ce carburant de synthèse, c’est qu’il s’adresse au parc roulant. Sur terre, il y a 1,3 milliard de voitures qui peuvent utiliser l'e-carburant parce que l’avantage, c’est qu’il est utilisé dans l’ensemble des moteurs existants, il peut utiliser les circuits de distribution existants. Donc, en fait, il est très facilement utilisable une fois qu’il est produit".

La production d'e-fuel très consommatrice d'énergie

À l’horizon 2028, Porsche ambitionne de devenir un véritable acteur du secteur en produisant 550 millions de litres d'e-carburant, qui ne seraient pas destinés qu’à l’automobile. Le problème, c’est que pour le fabriquer, il faut dépenser beaucoup d’énergie, nuance Frédéric Charon, directeur de la Société des ingénieurs de l’automobile : "Pour faire un carburant de synthèse, l’efficacité énergétique est de 10%. Ce qui veut dire que 90% est consommée dans le process. Uniquement, 10 % de l’énergie consommée se retrouve dans le produit au bout de la chaîne".

"Le problème, c’est que pour qu’un carburant de synthèse soit écologiquement justifié, il faut que l’électricité utilisée pour le fabriquer soit verte. Or cette énergie est rare : on utilise une énergie rare, dont on dépense 90% dans le processus. Est-ce que ça fait sens ? L’avis serait plutôt négatif".

Frédéric Charon, directeur de la Société des ingénieurs de l’automobile

à franceinfo

Conséquence de cette dépense énergétique, les e-carburants sont, hors taxes, 4 à 5 fois plus chers que les carburants traditionnels. À ce jour, ils paraissent donc hors de portée pour les véhicules particuliers. Leurs défenseurs assurent qu’une production de masse finira par faire baisser les prix.

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Du bio-carburant pour les long-courriers

Mais qu’en est-il pour les autres modes de transports qui utilisent eux aussi du carburant fossile ? L’aviation table sur l’autre famille de carburants de synthèse : les biocarburants, faits surtout à partir d’huiles de cuissons usagées ou encore de déchets de bois. Ils s’appellent carburants d’aviation durable (SAF) en langage aéronautique, acronyme de l’anglais "Sustainable aviation fuel".

Pour Vincent Etcheberre, directeur du développement durable d’Air France, c’est un enjeu majeur, surtout sur les vols lointains : "Si vous prenez le réseau mondial d’air France, 80% de nos émissions se focalisent sur le long-courrier où il n’y pas d’avion hydrogène, électrique ou hybride prévu sur les 30 ou 50 prochaines années. Donc notre priorité, c’est le long-courrier et dans une perspective 2030 et au-delà, les SAF, ça va devenir le premier levier en particulier pour réduire les émissions de ce long-courrier".

Sur l’ensemble de leur cycle, fabrication et consommation, les carburants d'aviation durables sont 80% moins émetteurs que le kérosène. Mais leur utilisation reste marginale. Les filières de production ne sont pas encore en place. La France et l’Union européenne ont fixé des seuils minimum d’incorporation dans le kérosène, comme pour les biocarburants routiers. Air France incorporera un peu plus de 1% de SAF dans les 5,3 millions de litres de carburant qu’elle brûlera cette année. La compagnie est une des pionnières dans le domaine avec un objectif de 60% en 2050.

La marine se tourne vers le vent

Un objectif qui paraît lointain vu l’urgence climatique. Il faut dire que le développement des SAF est un vrai défi pour le secteur. D’une part, ces carburants coûtent 3 à 8 fois plus cher que le kérosène. D’autre part, il n’y aura pas assez de matières premières, de déchets pour alimenter toute l’aviation si elle continue son développement.

Selon l’ONG Transports et environnement, la totalité de la biomasse disponible aujourd’hui en Europe ne pourra fournir que 11% du carburant durable à l’aviation dans son format prévisionnel de 2050. Pour Diane Strauss, directrice du bureau français de l’ONG Transport et environnement, il faudra donc, là aussi, de la sobriété : "Sur le secteur aérien, on voit bien qu’on n’arrive pas à alimenter tout le secteur aérien avec des carburants de synthèse, et même avec des carburants durables qui contiennent des biocarburants".

"Il va nécessairement falloir faire un effort sur la demande et notre point de vue c’est qu’il faut en priorité réduire la demande des entreprises et on voit que si on arrive à réduire de 50% les voyages d’affaires, on arrive à nos objectifs climat".

Diane Strauss, directrice du bureau français de "Transport et environnement"

à franceinfo

Les solutions explorées pour les navires vont poser les mêmes problèmes : e-ammoniaques et e-méthanols relèvent des mêmes procédés de fabrication que les autres carburants de synthèse. Alors la marine de commerce revient à ses vieux réflexes et se tourne vers le vent comme aide à la propulsion. Plusieurs navires ont testé des systèmes véliques, notamment l’un des navires de transport d’Airbus, qui fait la liaison entre l’Europe et les Etats-Unis. Peut-être une nouvelle ère pour des grands voiliers, mais à la silhouette bien différente des cathédrales de toiles qui ont sillonné les mers.

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