"C'est la première fois que je vois des prix autant élevés" : comment la tarification dynamique s'impose dans nos achats du quotidien

Ce système, où les prix s'ajustent presque en temps réel, est d'abord apparu dans les transports ou l'hôtellerie. Il s'étend maintenant à de nombreux secteurs jusqu'aux places de concert à l'étranger. À tel point que certains demandent une régulation.
Article rédigé par Lauriane Delanoë
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un internaute en train d'effecuer en ligne (DINOCO GRECO / MAXPPP)

La tarification dynamique s'impose de plus en plus dans notre quotidien. Il consiste à faire varier le prix d'un produit ou d'un service presque en temps réel sur les sites internet. Résultat : plus il y a de demande, et donc connexions, plus les prix flambent. Certains tarifs évoluent aussi en fonction de notre historique de recherche.

L'exemple le plus parlant concerne les applications de VTC. "Je cherche ma rentabilité", explique Abdallah, chauffeur qui utilise l'application Uber. Il nous explique comment les prix changent de minutes en minutes, et comment il choisit ses courses : "Vers 8 heures du matin jusqu'à 9 heures, ce sont des courses plus chères parce qu'il y a une forte demande, mais quand il y a des bouchons, ce n'est pas rentable. Là, il y a une course pour deux kilomètres et 14 euros nets pour moi, ça va être 20 euros pour les clients, ça, c'est rentable. Moi, j'aime les petites courses comme ça." Autre exemple, cette fois une course pour aller à la gare du Nord pour 14 euros : "Cette course n'est pas rentable. Je vais mettre 45 minutes pour avoir 14 euros."

"Trois cents euros, c'est impossible"

Côté consommateur, la tarification dynamique pèse sur nos porte-monnaie, comme quand les prix des billets de train ou d'avion s'envolent à l'approche des vacances. Dorian, étudiant boursier à Toulouse, vient d'en faire l'amère expérience. Il voulait rentrer à Rennes, dans sa famille : "Pour les trains, ça allait de 200 jusqu'à 350 euros que pour l'aller. Et pour les bus, c'est à 60 euros pour les moins chers. Mais en général, ça tournait autour des 100 euros." Quand il a payé ses charges fixes, Dorian vit avec près de 400 euros par mois. Le Breton de 22 ans ne peut donc pas se permettre de payer un billet de transport à ces prix. "Trois cents euros, c'est impossible. C'est la première fois que je vois des prix qui sont autant élevés." 

"Le fait que les prix bougent, ça fait que je ne peux juste pas partir. Je suis obligé de rester sur Toulouse."

Dorian, étudiant de 22 ans

à franceinfo

"Ça m'embête de ne pas pouvoir voir ma famille et mes proches à Rennes avant les prochaines vacances, à Noël, regrette l'étudiant en langues et littératures étrangères. Et ce renoncement a d'autres conséquences : économiquement, d'habitude quand je rentre, ma famille s'occupe de moi. Là, je vais devoir payer mes repas et tout le reste de la vie quotidienne, en restant seul à Toulouse."

Il y a bien quelques astuces pour éviter ce piège des prix trop haut. Il faut d'abord se connecter à des heures de faibles fréquentations. Par exemple, le billet Toulouse-Rennes était proposé un peu moins cher à 10h30 le matin, plutôt qu'à 21 heures. Il faut donc comparer, mais pas trop et pas toujours. Car certains sites suivent nos activités et modifient les prix en fonction de nos précédentes recherches.

Mais il est possible de tromper les algorithmes avec un peu de maîtrise technique. "Je passe en navigation privée, comme ça il n'y a pas de trace, explique Murielle. Il n'y a pas l'historique de navigation qui permet aux sites de savoir que je suis allé plusieurs fois le consulter. Je me localise dans d'autres pays, par exemple en Allemagne, pour acheter un billet sur une compagnie aérienne allemande. On est un foyer de quatre personnes avec deux enfants et si je peux gagner 30, 50 ou 100 euros dans le meilleur des cas sur un long courrier, pourquoi pas."  Murielle achète aussi déjà ses cadeaux de Noël, car la tarification dynamique s'applique dans de nombreux secteurs de la vente en ligne, sur les jouets, l'électronique ou encore l'électroménager.

Des places de concerts qui flambent aux États-Unis et au Royaume-Uni

En France, le secteur de la culture est pour l'instant encore préservé. Les places de concerts sont presque épargnées car si les prix sont fixes en France, ils sont "dynamiques", en fonction de la demande, dans le monde anglo-saxon. C'est le cas pour les spectacles de la superstar américaine Taylor Swift : pour la voir en concert aux États-Unis, certains ont payé plusieurs milliers de dollars contre quelques centaines d'euros pour ses dates en France.

Selon Grégory Caret, de l'association UFC-Que Choisir, cela explique pourquoi des Américains sont venus voir leur idole à Paris : "Les prix avaient tellement flambé aux États-Unis que certains Américains disaient que c'était presque moins cher de faire un aller-retour en avion et d'aller voir le concert à Paris que de le voir aux États-Unis. C'est une des conséquences indirectes parce que là, effectivement, ce sont les pays à très fort pouvoir d'achat qui vont pouvoir occuper des places. Pour une soirée de concert, c'est quelque chose qui paraît tout à fait étonnant et on voit à quel point ça peut aller très loin."

"Ne pas prendre le spectateur en otage"

Cette pratique va-t-elle arriver bientôt à des concerts en France ? Elle a en tout cas récemment suscité la colère de milliers de fans du groupe britannique Oasis, qui a annoncé fin août sa reformation et une tournée mondiale : certaines places, affichées initialement à environ 150 livres (179 euros), ont ainsi été proposées à plus de 350 livres (419 euros) pour les concerts au Royaume-Uni. "Sur le plan éthique, nous souhaitons réellement qu'il n'y ait pas de tarification dynamique", affirme Aurélien Binder, producteur de grandes stars et vice-président en charge de la musique à Ekhoscènes (ex-Prodiss). "Ou, s’il y avait une tarification dynamique, qu’elle soit extrêmement raisonnée et raisonnable, pour ne pas prendre le spectateur en otage."

Mais ce syndicat des professionnels du spectacle appelle à un débat politique et économique sur ce modèle de tarification. Aurélien Binder entend ainsi pouvoir anticiper les conséquences, dans une économie mondialisée : "Un agent étranger ou des artistes, voyant que la manne est plus faible sur le territoire, pourraient dire : 'C'est simple, on n'ira pas sur ce territoire. Et puis, si les gens veulent venir nous voir, ils viendront nous voir à Bruxelles, à Barcelone, à Genève, je ne sais où.' On peut l'imaginer."

Le syndicat Ekhoscènes propose donc un moratoire européen sur la tarification dynamique. Cela éviterait aussi aux Français d'acheter des billets d'avion très cher pour des concerts à l'étranger. 

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