Christophe Castaner, Nicole Guedj... Dans quel objectif Shein nomme-t-il des personnalités politiques françaises ?
Un ancien ministre de l’Intérieur d'Emmanuel Macron va conseiller le géant du prêt-à-porter chinois Shein. Le mois dernier, le groupe a annoncé la nomination de Christophe Castaner, ainsi que celle de Nicole Guedj, éphémère secrétaire d’État au début des années 2000, au sein d'un comité régional stratégique, en charge des sujets de responsabilité sociale et environnementale.
L'entreprise, fondée en Chine, dont le siège social est à Singapour, est un des porte-étendards de l’ultra fast fashion, des vêtements à très bas coûts. Elle est critiquée pour les conditions de travail dans ses usines et son impact sur l'environnement. Ces nominations ont beaucoup fait réagir, surtout celle de Christophe Castaner.
Christophe Castaner, fidèle parmi les fidèles d'Emmanuel Macron en 2017, s'est retiré de la vie politique après son échec aux législatives de 2022 pour partir dans le privé. La responsabilité sociale et environnementale n'est pas vraiment son domaine d'expertise, lui qui par ailleurs défendait le textile made in France à la télévision en 2021. "On revendique une forme de souveraineté, disait à l'époque Christophe Castaner, alors chef des députés marcheurs à l'Assemblée. Ce n'est pas la responsabilité des acheteurs publics qui sont tenus par les marchés de financer le made in France. Mais ce doit être notre priorité".
Des nominations qui interviennent au moment où la loi sur la fast fashion arrive au Sénat
Sur son site internet, l'entreprise chinoise propose des vêtements à très bas prix. En quelques clics vous trouvez des pantoufles à trois euros, un legging à 4,99 euros, le tout acheminé par avion. Une concurrence déloyale pour le prêt-à-porter français, selon Anne-Cécile Violland, députée Horizons qui a porté la loi contre la fast fashion votée en mars 2024 à l'Assemblée. L'élue redoute que Christophe Castaner et l'ancienne secrétaire d'État Nicole Guedj ne servent de lobbyistes pour Shein. "C'est un tel mastodonte qu'on peut effectivement avoir quelques craintes sur la manière dont, notamment, les réseaux de Monsieur Castaner ou de Madame Guedj vont être utilisés", alerte la députée.
Le calendrier de ces nominations interroge le député LR Antoine Vermorel, car la loi contre la fast fashion est désormais attendue au Sénat ce début d'année pour adoption définitive.
"Depuis qu'elle a été adoptée à l'Assemblée nationale, il y a de nombreux lobbyistes qui se sont engagés pour détricoter cette loi."
Antoine Vermorel, député LRsur franceinfo
"C'est une loi qui est fondamentale parce qu'il faut bien comprendre qu'après avoir délocalisé la production de vêtements dans les années 80 en Asie, aujourd'hui, on est en train de délocaliser la commercialisation des vêtements, et donc c'est la fermeture de tous nos commerces de proximité", dénonce Antoine Vermorel.
Chez Shein, on assure qu'il n'y a pas de corrélation entre ces nominations et l'examen de cette loi anti fast fashion.
Shein assure que ces personnalités politiques sont nommées pour leur expertise
Franceinfo a contacté Christophe Castaner et l'ancienne secrétaire d'État Nicole Guedj, mais aucun des deux ne souhaite réagir. De son côté, Christophe Castaner assure dans une interview à La Tribune dimanche qu'il n'a pas été nommé uniquement pour son réseau. "Les gens pensent que je suis assez idiot pour n'avoir comme capacité que celle d'avoir un carnet d'adresses", s'agace l'ancien ministre, qui préside déjà le Conseil de surveillance du Grand port maritime de Marseille et les sociétés des autoroutes et tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus.
"D'un côté, on reproche aux politiques de ne faire que ça et de l'autre on crie au scandale quand ils vont dans le privé."
Un acteur du secteur du commercesur franceinfo
Combien lui et Nicole Guedj seront-ils payés ? Pas de réponse de Shein. Un porte-parole de la société explique ces nominations uniquement en raison de l'expertise des deux anciens politiques. "Pensez qu'ils ont le moindre pouvoir de lobbying sur quoi que ce soit, ce n'est pas sérieux", abonde un ancien ministre passé dans le privé.
Une manière de donner de la crédibilité au groupe
Ces collaborations d'anciens responsables politiques avec le secteur privé ne sont pas nouvelles. Et même avec des entreprises chinoises. L'ancien ministre socialiste Jean-Marie Le Guen est en ce moment chez Huawei par exemple. Il est membre du conseil d'administration de la filiale française du géant chinois des télécoms. Il succède à un autre ministre, Jean-Louis Borloo. Mais dans le cas de Shein, Christophe Castaner et Nicole Guedj rejoignent une entreprise controversée, visée par des accusations de concurrence déloyale vis à vis du prêt-à-porter français, un secteur en souffrance.
Alors pourquoi y vont-ils ? "Il y a une part d'adrénaline. C'est revenir dans la fosse aux lions", analyse Guillaume Courty, spécialiste du lobbying et enseignant en sciences politiques à Lille. C'est certainement une part du challenge qui, eux, les séduit. Ça pourrait en effrayer d'autres, continuer à être alors qu'ils savent pertinemment que les plus grandes heures de leur carrière sont derrière eux". En échange, cela apporte à Shein de la "notoriété". Selon ce spécialiste des lobbies, ces recrutements d'anciens responsables politiques sont en quelque sorte des prises de guerre. Cela permet de crédibiliser Shein en tant qu'entreprise en France, puisque que le groupe est accepté par des élites locales.
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