Cinéma : la nouvelle chronologie des médias pour les plateformes de streaming vidéo inquiète le secteur
Netflix, Disney+ ou encore Amazon Prime vont devoir investir dans le cinéma français. Mais ce dernier ne veut pas voir en contrepartie un assouplissement du délai de diffusion d'un film après sa sortie en salles, ce qui affaiblirait notamment son meilleur allié Canal+.
Les plateformes de streaming vidéo - Netflix, Disney+ ou encore Amazon Prime - profitent évidemment de la situation sanitaire depuis un an, avec des cinémas fermés et des incitations à rester chez soi pour éviter la propagation du Covid-19. Elles concernent, en comptant large, pas loin de 30 millions de personnes, soit près d’un Français sur deux. Mais elles vont bientôt devoir passer à la caisse, puisque le gouvernement prépare son décret dit "SMAD" (services de médias audiovisuels à la demande), transposition d'une directive européenne.
Le projet de loi a été examiné il y a trois semaines en conseil des ministres. Concrètement, elles devront verser 20 à 25% de leur chiffre d’affaires fait en France à la création culturelle française, comme nous le détaille Pascal Rogard, directeur général de la société des auteurs et compositeurs dramatiques : "Si on estime que le chiffre d’affaire de Netflix est d’environ d’un milliard d’euros par an, l’obligation d’investissement dans la création française serait de 200 millions dont une quarantaine de millions pour le cinéma. C’est ce qui est prévu par le décret."
Un équilibre remis en cause
Des plateformes étrangères qui injectent plus d’argent dans le cinéma français est en soi une bonne nouvelle sur le papier, mais plusieurs choses inquiètent une partie du cinéma français. D’abord les sommes en question, considérées comme trop modestes. Mais aussi le fait que les plateformes puissent bénéficier, en contrepartie de cet investissement, d’un assouplissement de la fameuse "chronologie des médias".
Aujourd’hui, Netflix et Disney+ doivent attendre trois ans pour diffuser un film après sa sortie en salles, et ce délai pourrait être réduit à douze mois. Soit des films restant moins longtemps en salles, moins longtemps vendus en DVD et en VOD payante. Et sans doute moins d'abonnés et donc moins de revenus pour Canal+ qui, aujourd’hui, peut diffuser ces films six à huit mois seulement après leur sortie. Un équilibre actuel que défend le réalisateur français Pierre Salvadori : "On a tout un tas d’accords avec Canal+ qui sont vertueux et qui ont permis au cinéma français d’être ce qu’il est, c’est-à-dire riche, diversifié et vivant. C’est ce qu’on essaye d'imposer aux autres arrivants. À partir du moment où ils veulent la même place dans la chronologie des médias et le même poids dans l’industrie, il faudra qu’ils aient les mêmes investissements et les mêmes obligations." Cette chronologie des médias est justement en discussion entre tous les acteurs du cinéma français, un accord doit être trouvé avant juillet.
La menace de Canal+
Celui qui a le plus à perdre dans cette histoire est donc Canal+. Au point que le producteur et partenaire historique du cinéma français - qui dit avoir contribué à hauteur de 160 millions d'euros en 2020 - inquiet de voir sa position privilégiée contestée, menace de quitter la TNT pour devenir lui aussi une plateforme à part entière, et donc donner moins d'argent au cinéma. Du bluff, selon Olivier Thuillas, maître de conférences en sciences de l’information à Paris-Nanterre : "Pour moi c’est du poker menteur venant d’un groupe qui est globalement en difficulté. On voit bien que le public de Netflix, d’Amazon Prime ou de Disney+ est plus jeune et plus volatile."
On est sur des pratiques qui sont en train d’évoluer, et Canal+ va être obliger d’une manière ou d’une autre d’évoluer.
Olivier Thuillasà franceinfo
La chronologie des médias ne serait donc peut-être qu’un prétexte. Il s’agit surtout d’une histoire d’argent. Et la pandémie de Covid-19 n’a fait qu’accélérer les choses. Le Centre national du cinéma (CNC) a d'ailleurs autorisé il y a quelques jours les films n’ayant pu sortir en salles à aller directement sur les plates-formes, comme Madame Claude sur Neftflix. Ce dernier poursuit en parallèle son flirt avec le cinéma français. Sa série Lupin produite chez nous cartonne dans le monde entier. Elle propose aussi des classiques de Chabrol ou Truffaut, et va financer pour la Cinémathèque la restauration du Napoléon d’Abel Gance.
"Un combat idéologique"
Est-on pour autant face à un vieux monde qui a peur d’être croqué par ces nouveaux participants ? Pour Pierre Salvadori, ce sont aussi deux façons différentes de concevoir le cinéma. "Plus on avance et plus c’est un combat un petit peu idéologique, explique-t-il. Pour quelques œuvres qui apparaissent et qui sont brillantes sur les plateformes, combien d’œuvres n’ont pas vraiment une substance ni un ton ? Il y a aussi cette idée de protéger la notion d’auteur à l’intérieur des plateformes. On peut trouver ça rétrograde alors que je trouve ça extraordinaire. Et je ne vois pas pourquoi on devrait le sacrifier à quelque chose de plus commun. “
Dernier point : est-ce que, comme cela s’est produit récemment pour le football, les plateformes vont répercuter sur le prix des abonnements ces investissements plus élevés ? Est-ce que la multiplication des supports ne va pas lasser les spectateurs ? Avec le risque là aussi de nourrir le piratage, qui avait augmenté de 40% lors du premier confinement.
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