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Enquête
Baisers forcés et gestes "déplacés" : le réalisateur Philippe Lioret mis en cause par des actrices
Paris, juillet 2010. Les petits bureaux loués près du métro Voltaire par la société de production Fin Août ne paient pas de mine. Pourtant, le tout-Paris du cinéma s'y bouscule. "J'ai dû voir une cinquantaine d'actrices", reconnaît Philippe Lioret, 68 ans aujourd'hui. À l'époque, le réalisateur français est au sommet de sa gloire. Ses deux précédents longs métrages ont été de grands succès, critiques et commerciaux. Je vais bien, ne t'en fais pas a frôlé le million d'entrées en salles et a révélé Mélanie Laurent. Welcome a récolté 10 nominations aux César et dépassé les 1,2 million d'entrées. "Philippe Lioret, c'était alors le Ken Loach à la française. Il avait une aura considérable", estime un distributeur.
En cet été 2010, Philippe Lioret se donne trois mois pour trouver les acteurs et actrices qui incarneront les personnages de son nouveau film, Toutes nos envies. Inspiré du roman D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère, il raconte l'histoire de Claire et Stéphane, deux magistrats en lutte contre les organismes de crédit, qui tentent d'aider Céline, une mère de famille surendettée. Si le rôle de Stéphane est d'emblée attribué à Vincent Lindon, pléthore d'actrices célèbres sont auditionnées pour les personnages féminins : Judith Godrèche, Emma de Caunes, Mélanie Bernier, Cécile Cassel, Laetitia Casta, Virginie Efira ou encore Marie Gillain.
Malaise à huis clos
Philippe Lioret envisage malgré tout de faire émerger un nouveau talent. Il pense à Hélène Seuzaret, une comédienne rencontrée quelques mois plus tôt sur le tournage d'une publicité pour la marque Herta. Il l'appelle, lui dit qu'il l'a trouvée formidable, qu'il peut l'aider à lui ouvrir les portes du septième art. Hélène Seuzaret multiplie alors les auditions avec le cinéaste, jusqu'à connaître le scénario de Toutes nos envies par cœur. "Il me disait : 'C'est toi qui auras le rôle. Je n'ai pas de couilles si je ne te prends pas !'", rapporte aujourd'hui celle qui connaît un beau succès dans la série télé Le crime lui va si bien.
Après plusieurs essais, Philippe Lioret lui fixe un rendez-vous pour une séance de travail, mais un samedi cette fois, alors que les bureaux de la production sont fermés et que l'équipe du casting est en repos. "J'étais un peu étonnée", raconte Hélène Seuzaret. Lorsqu'elle arrive dans les locaux, elle constate que le réalisateur a installé une caméra sur pied. La situation est assez inhabituelle : c'est lui qui lui donnera la réplique. Philippe Lioret choisit une scène intime, charnelle, entre le personnage de Claire et son mari. "Je me dis : pourquoi ce choix de scène ? Il est le réalisateur, pas l'acteur avec lequel je jouerai. C'est gênant", relate Hélène Seuzaret.
Elle quitte la séance de travail assez mal à l'aise, suivie par le metteur en scène. "Une fois dehors, alors qu'on retourne à nos véhicules respectifs, il essaye de m'embrasser sur la bouche. Ce n'est pas du tout ce dont j'avais envie, lâche-t-elle. C'est comme un abus de pouvoir : il se permet, parce que je suis en attente de ce rôle, de me voler un baiser."
Le baiser forcé
Christine*, elle, n'aurait pas réussi à éviter un baiser forcé cet été-là. La comédienne, renommée au théâtre comme au cinéma, a passé les essais pour un rôle secondaire dans Toutes nos envies. "J'étais ressortie confiante parce que Philippe Lioret m'avait dit : 'Tu es merveilleuse, je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi éblouissant !'", raconte l'actrice, qui nous reçoit dans son jardin en ce début de printemps 2024. Selon son récit, le réalisateur la rappelle un samedi soir et lui propose de le rejoindre immédiatement au restaurant. Motif invoqué pour cette demande impromptue : il "ne parvient pas à la départager avec une autre comédienne". Christine s'exécute. "Je me sentais chanceuse d'être là, face à lui", même si, se remémore-t-elle, "il n'a pas du tout parlé du rôle pendant le repas".
À la sortie, toujours selon la version de Christine, alors qu'elle s'apprête à rentrer dans sa voiture, Philippe Lioret la saisit et l'embrasse, par surprise, sur la bouche. L'actrice est stupéfaite. Elle ne s'y attend pas. "À cette époque-là, j'étais au début d'une grande histoire d'amour. Je ne cherchais pas à plaire à Philippe Lioret. Je ne dégageais rien d'érotique. Je l'ai repoussé en lui disant : 'Ça, ce sera sans moi !' J'étais estomaquée qu'il arrive à m'agresser !" Pour Christine, ce dîner était un "piège". "Il voulait sans doute savoir si j'étais 'souple', si j'étais prête à ça pour avoir un rôle, lâche l'actrice. J'ai été utilisée à cette fin de pouvoir me consommer. Voilà comment je l'ai vécu. Il n'y avait rien d'artistique là-dedans." Christine explique n'avoir plus jamais eu de nouvelles de Philippe Lioret.
"C'était une agression sexuelle"
Une discussion sur un rôle autour d'un repas au restaurant puis un baiser non consenti dans la rue : c'est exactement ce que déclare avoir vécu une autre actrice dans les années 1990. Nathalie* a participé à l'un des premiers films de Philippe Lioret. "Il m'invite à déjeuner pour parler du rôle principal que je devais avoir, se rappelle la comédienne. Mais au moment de partir, de manière assez brutale, il m'attrape par les épaules et m'embrasse goulûment, relate-t-elle. Je suis restée pétrifiée. Voyant mon état de sidération, il est parti". L'après-midi même, selon elle, Philippe Lioret l'appelle "pour s'excuser platement. Il m'explique qu'il s'est laissé aller et qu'il n'aurait pas dû".
Quelques jours plus tard, nouveau coup de fil du réalisateur. "Philippe me dit que finalement, je n'aurai pas le rôle principal mais que je pouvais avoir un petit rôle dans son film, en guise de compensation, poursuit Nathalie, amère. Je me suis dit que, peut-être, si j'avais été plus 'gentille', les choses auraient été différentes". Nathalie accepte ce "petit rôle". Deux jours de tournage seulement.
Sur le moment, la comédienne, déjà expérimentée, relativise. "Cela aurait pu être pire. Il ne m'a pas violée, il ne m'a pas fait de chantage. Mais c'est humiliant de se faire embrasser violemment comme ça. D'où a-t-il le droit de m'embrasser sans que j'aie donné mon consentement ? D'où a-t-il le droit de me traiter comme ça, de manière brutale ? À cette époque, je ne me disais pas que c'était une agression sexuelle. Mais aujourd'hui, avec le recul, je pense que c'en est une." D'après le code pénal, le baiser non consenti sur la bouche est constitutif d'une agression sexuelle.
Interrogé sur ces témoignages, le réalisateur que nous rencontrons dans un café près de la gare Montparnasse, se défend d'avoir embrassé une actrice de force. "Je n'ai jamais eu la sensation d'essayer d'abuser de qui que ce soit de toute ma vie", affirme-t-il. Quelques jours plus tard, son avocate, Solange Doumic, apporte ces précisions : "Qu'il ait pu tenter de séduire, ça, c'est tout à fait possible. Mais il s'est toujours arrêté dès lors qu'il s'est trouvé face à un refus".
"Quelqu'un qui en profitait"
Mais au-delà de ces "baisers", dix comédiennes que nous avons interrogées dénoncent un comportement "déplacé" et "inapproprié" de la part de Philippe Lioret.
Retour sur le casting de Toutes nos envies, dans la chaleur étouffante de Paris, en cet été 2010. L'agent d'Élodie Frenck l'appelle pour lui proposer de passer un essai pour le rôle principal. La comédienne connaît déjà Philippe Lioret. Elle a joué dans son film Mademoiselle sorti en 2001. "J'apprends mon texte, j'y vais, et une fois sur place, il décide qu'il me donnera la réplique", se souvient celle qui est aujourd'hui le visage bien connu de Marlène, dans Les petits meurtres d'Agatha Christie sur France 2. "Il s'avère que c'était une scène de baiser et d'attirance mutuelle" entre le personnage principal de Claire, la magistrate, et son mari. Élodie Frenck raconte avoir été surprise par le choix de la scène, puis très gênée. "Il a commencé à être très insistant. Il mettait sa bouche dans mon cou, il avait le souffle court, j'étais très mal à l'aise. Je me dégageais et il me disait : 'Mais tu veux le faire ou tu ne veux pas le faire ?' Je me sentais comme une petite souris au fond de la boîte". L'actrice affirme avoir dû rejouer plusieurs fois la scène avec Philippe Lioret. "C'était de plus en plus désagréable. Il voulait me toucher plus pour que ce soit plus vrai. Et tout d'un coup, j'ai décidé que ça suffisait. Je suis partie". Ce faisant, Elodie Frenck fait une croix sur le rôle. Elle ne le regrette pas. "Je sentais qu'on ne jouait plus et que c'était quelqu'un qui en profitait."
Un rôle et des avances
La comédienne Amandine Dewasmes, venue du théâtre, a passé le même casting et a dû jouer la même scène intime avec le réalisateur. "À partir du moment où j'ai senti ses mains et ses doigts dans mon cou, sur mes hanches, mon corps s'est pétrifié, raconte-t-elle. Il y a un truc qui dérapait". Malgré le malaise qu'elle a ressenti, Amandine Dewasmes est ravie quand Philippe Lioret dont elle admire le travail, l'appelle pour lui dire qu'il l'a choisie pour incarner Céline, la jeune mère surendettée. "Il me propose de dîner le soir-même pour parler du personnage. J'accepte. J'étais tellement heureuse d'avoir le rôle." L'actrice le retrouve en terrasse d'un restaurant du 9e arrondissement de Paris. Malaise, à nouveau. "À table, Il se rapproche de moi, il me prend la main, la caresse, je sens sa jambe qui frôle la mienne, et il me dit : 'Amandine, je suis tellement troublé par toi. Je ne sais pas comment faire parce qu'on a ce film à faire ensemble, toi et moi. Et là, je suis totalement bouleversé...'"
La comédienne se sent vulnérable. Elle se trouve face à son employeur, bien qu'elle n'ait pas encore signé son contrat de travail. Elle cherche une parade, une "stratégie d'évitement" qu'elle a dû parfois mettre en place, par le passé, face à des metteurs en scène trop entreprenants. Elle se souvient d'avoir alors eu ces paroles : "Je lui dis : 'Philippe, on a un très beau film à faire ensemble. Si on a une histoire, on va tout gâcher.'" Attablée à cette terrasse de restaurant, la comédienne espère qu'elle ne va pas perdre son rôle en refusant les avances du cinéaste. Malgré sa fierté d'avoir pu jouer dans ce long-métrage, elle estime que le réalisateur a "abusé de son pouvoir".
"Il y a un truc très malsain"
"Abus de pouvoir", la comédienne Émilie Deville utilise les mêmes mots pour décrire le comportement de Philippe Lioret à son encontre. Lors des essais pour le film Toutes nos envies, le cinéaste l'aurait "emmenée dans une pièce à part, pour une séance de travail à deux". "Je me retrouve entre quatre murs, dans les bras du réalisateur, gênée par la situation", explique la comédienne qui tourne en France et aux États-Unis. "Il me disait : 'Tu es exceptionnelle, tu es merveilleuse ! En ce moment, je vois tout Paris, et il n'y en a pas une qui me fait ce que tu me fais'." Philippe Lioret aurait alors insisté pour tester avec elle d'autres passages du scénario. Notamment une scène entre une mère et son enfant. "Il fait l'enfant de six ans, il se met à genoux et il attrape mes hanches. Il colle son visage sur mon sexe en disant : 'Maman !', décrit Émilie Deville, encore médusée une décennie plus tard. Il me demande de caresser ses cheveux, de consoler le soi-disant enfant que j'ai entre les jambes, lui qui à l'époque avait 53 ans !"
Même si Philippe Lioret ne l'a pas agressée, le casting pour Toutes nos envies demeure pour elle un événement perturbant. Après avoir été contactée par la cellule investigation de Radio France, Émilie Deville a d'ailleurs souhaité écrire un texte à ce sujet, comme un exutoire. "Il ne m'a pas violée, il ne m'a pas embrassée de force, mais il a abusé de son statut de directeur d'acteur", peut-on lire dans sa lettre. Selon elle, Philippe Lioret aurait dû rester derrière la caméra, à filmer les comédiennes. "Au lieu de ça, il joue ton mari et il joue ton enfant, il te touche les hanches, son visage est sur ton sexe… Il y a un truc très malsain."
Cette ambiance décrite par beaucoup comme "malsaine" ou "poisseuse" est confirmée par l'assistante de la directrice de casting présente lors de ces auditions XXL. Julia* affirme que Philippe Lioret "ne se privait pas de toucher la naissance des seins, de se mettre dans le cou des comédiennes, de les embrasser. C'était vraiment très gênant et complètement hors propos par rapport à la scène. Les actrices étaient tellement mal à l'aise dans les bras de Philippe de se faire tripoter comme ça".
Julia s'en est ouverte à la directrice du casting de Toutes nos envies. Cette dernière, que nous appellerons Deborah*, raconte que Philippe Lioret semblait à l'époque "dans un sentiment de toute-puissance et qu'il se croyait tout permis". "Après le succès de 'Welcome', il a décidé de devenir son propre producteur, explique-t-elle. Il était seul aux commandes. Il n'y avait plus de regard extérieur, de contrepoids, de contre-pouvoir".
La gêne de Marie Gillain
Philippe Lioret a-t-il abusé de son pouvoir lors de ces essais ? L'actrice Marie Gillain, qui a obtenu le rôle principal de Claire dans Toutes nos envies, a mûrement réfléchi avant de s'exprimer dans un texte qu'elle nous a envoyé, et que nous publions dans son intégralité. Elle aussi garde en mémoire "une sensation de malaise" lors des essais et "une attitude charnelle" du réalisateur qui l'a gênée.
"Je ne lui ai pas dit, écrit Marie Gillain. Sans doute parce qu'il avait tous les pouvoirs à ce moment-là, en particulier celui de me donner ou pas ce rôle dont je rêvais". L'actrice souhaite apporter son soutien aux comédiennes qui prennent la parole pour dénoncer les abus dans le cinéma. "Ne pas se sentir respectée dans son intégrité morale et physique lors d'un entretien d'embauche n'est plus acceptable [...] Il est urgent que toutes les actrices et tous les acteurs puissent enfin se sentir en totale sécurité lors d'un casting ou dans un processus d'essais ou de rencontre avec un réalisateur."
Informé des témoignages recueillis par la cellule investigation de Radio France, le cinéaste se dit abasourdi. "Philippe Lioret s'est toujours impliqué très personnellement dans les castings. C'est vraiment son truc, nous répond son avocate, Solange Doumic (lire l'intégralité de ses réponses ici). Il cherche à obtenir le meilleur des comédiens et des comédiennes qui passent des essais. Donc, c'est lui qui leur donne la réplique. Dans le casting de 'Toutes nos envies', il avait choisi une scène de tendresse parce qu'elle est cruciale, poursuit l'avocate. Aujourd'hui, si des actrices se sentent heurtées, Philippe Lioret en est profondément désolé. Il ne s'en est évidemment pas du tout rendu compte".
"Je voudrais voir ta poitrine"
Mais il n'y a pas que la scène de tendresse, jouée avec le réalisateur, qui a posé problème aux comédiennes. Certaines affirment que lors du casting, Philippe Lioret leur aurait demandé de "montrer leurs seins". Une célèbre actrice nous raconte s'être rendue à une séance de lecture, un samedi, dans les locaux de la production. "Philippe Lioret m'a dit : 'Je voudrais voir ta poitrine. Je dois la voir si je dois la filmer.'" L'actrice, qui fait la une des journaux depuis un moment déjà, est stupéfaite. Dans sa carrière pourtant fournie, personne ne lui a jamais demandé pareille chose. "Il y a quelque chose qui était malsain, qui n'était pas nécessaire, on n'engage pas une actrice pour ses seins mais pour son jeu", lâche-t-elle. Ce jour-là, elle claque la porte du casting. Tant pis pour le rôle.
Une autre comédienne, Louise Szpindel, a mis fin aux essais pour la même raison. "À la fin de la scène, Philippe Lioret décide que le personnage doit soulever son t-shirt pour montrer sa poitrine. Ça n'était pas dans le scénario ni dans le texte à apprendre. J'étais prise de court, surprise et mal à l'aise. Cela a mis fin aux essais", nous raconte-t-elle.
L'assistante du casting, Julia*, soutient que le cinéaste faisait de la poitrine des comédiennes une question cruciale. "Je me souviens de cette scène, pendant les essais, où il fallait absolument mettre du parfum sur l'aréole du sein de la comédienne. Il voulait absolument qu'on voit le sein. Quand je donnais la réplique aux actrices, j'avais pour ordre de tirer sur leur soutien-gorge et de sortir leur sein", détaille Julia. "J'ai trouvé ça bizarre, relate aujourd'hui une actrice. Le geste était excessif et étrange. En fait, ça n'avait rien à voir avec la scène à jouer."
Dans les images des essais que nous avons pu visionner, on voit en effet l'assistante de casting baisser le soutien-gorge de certaines comédiennes et se mettre dans le champ de la caméra de Philippe Lioret. "J'essayais de les protéger, explique-t-elle, pour ne pas que ça soit filmé".
Il n'est évidemment pas interdit de demander à une actrice de se dénuder lors d'un casting. Mais dans le cas de Toutes nos envies, ni le scénario ni le film ne comportent de scène de nudité. "Il est question d'une femme qui meurt d'un cancer et d'une autre qui est surendettée, remarque un employé de la production. Il n'y avait pas d'espace pour l'esthétique du corps de la femme. Ce n'était absolument pas le propos".
Philippe Lioret déclare ne pas se souvenir de cela. "C'était un casting qui a eu lieu il y a 14 ans, rappelle son avocate Solange Doumic. Il n'a pas le souvenir d'avoir forcé qui que ce soit à faire quelque chose de déplacé."
L'angle mort du casting
Cette affaire pose en tout cas la question de ce qu'il est possible de demander aux acteurs et aux actrices lors des castings. "Il faut que les choses soient beaucoup plus encadrées", estime la comédienne Clémentine Poidatz, membre du conseil d'administration de l'association ADA, qui lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma. "Un casting est un entretien d'embauche. C'est un moment où nous sommes vulnérables, en attente de travail, explique-t-elle. Un réalisateur ne doit pas donner lui-même la réplique à des actrices. Un réalisateur ne doit pas appeler des actrices à 20 heures et leur donner rendez-vous dans des hôtels !"
Selon Clémentine Poidatz, les règles des castings ne sont pas assez claires en France. "Aux États-Unis et en Angleterre, même bien avant MeToo, quand on veut voir votre corps - ça m'est arrivé - on vous donne une combinaison de type combinaison de danse, raconte l'actrice. On ne m'a jamais demandé de me mettre nue. On n'a pas tiré sur mon tee-shirt pour voir mes seins. Il faut un cadre clair, même si on fait de l'art".
La comédienne Louise Orry-Diquéro, elle aussi membre de l'ADA, considère qu'il devrait y avoir "des coordinateurs d'intimité lors des castings, comme il y en a – certes, en nombre insuffisant –, sur les tournages".
"On est là, on veille"
Amandine Dewasmes, qui joue le personnage de Céline dans Toutes nos envies, estime pour sa part que tout le système est à repenser. "Il faut déconstruire le château de cartes, explique-t-elle. On fait un métier où on parle d'abstraction, de sentiments, d'humanité et on a du mal à concevoir qu'il faille mettre des limites et des règles. Malheureusement, il faudra mettre des règles pendant les essais".
Hélène Seuzaret ajoute, à destination des jeunes actrices : "Vous n'avez pas à coucher, vous n'avez pas à vous avilir pour obtenir un rôle. N'acceptez pas des choses qui vous paraissent déplacées, malsaines, perverses".
Christine*, l'une des comédiennes que Philippe Lioret aurait embrassées contre son gré, espère que ces prises de parole vont permettre "d'assainir le métier" : "C'est un travail qui nous demande à nous les femmes suffisamment d'abnégation et il y a tellement de diktats auxquels on obéit déjà, pour qu'au moins, on soit tranquille dans notre travail et qu'on ne soit pas obligées de vérifier s'il n'y a pas quelqu'un derrière nous qui nous regarde les fesses". Cette actrice chevronnée espère, elle aussi, que son témoignage dans cette affaire sera utile à la jeune génération : "Pendant longtemps, probablement que j'ai été trop centrée sur moi, à penser que j'étais toute seule à me protéger. Mais maintenant, je m'engage à protéger les autres. On est là maintenant, on veille".
*Les prénoms ont été modifiés
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