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Espace : l'Europe va lancer son propre réseau internet par satellite pour concurrencer Elon Musk

Face au développement des réseaux privés comme Starlink, déjà présent en France, l'Union européenne va présenter mercredi son projet concurrent de constellation. Le déploiement est prévu pour 2024 avec l'ambition de mieux sécuriser les communications sur le continent.

Article rédigé par Olivier Emond
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Illustration du réseau satellite Starlink. (MARK GARLICK/SCIENCE PHOTO LIBRA / SPB)

À chacun sa constellation ! L’Union européenne veut, elle aussi, se lancer dans l’internet haut débit par satellite. Le commissaire européen Thierry Breton va défendre ce projet mecredi 16 février lors du sommet européen de l’Espace qui se tient à Toulouse. L’idée est d’offrir une alternative aux réseaux privés comme le Starlink d’Elon Musk.

L’ambitieux Américain fait office de précurseur en la matière. Il a déjà envoyé en orbite près de 2 000 satellites pour offrir à tout un chacun une connexion très haut débit depuis l’espace. Les abonnements sont disponibles depuis quelques mois en France. De quoi redonner le sourire à Dominique, qui habite dans une zone mal couverte par les autres réseaux dans les Alpes-Maritimes : "Je suis en télétravail et impossible de faire des vidéos, des Teams ou des Zoom avec le débit que j'avais. Donc j'étais obligé de me connecter sur la 4G et d'aller chercher dans un coin de ma maison où j'avais la meilleure réception 4G."

"On nous promet la fibre à partir des années 2017-2018, on est en 2022, elle n'est toujours pas là."

Dominique, abonné Starlink

à franceinfo

Dominique a donc été l’un des premiers Français à s’abonner au réseau Starlink, en septembre 2021. Tarif de base : 99 euros par mois plus environ 500 euros d’investissement pour le matériel et son envoi, dans une belle boîte design. "À l'intérieur, explique Dominique, vous retrouvez un satellite, vous avez juste à le sortir. Il est branché, il est connecté et vous branchez ça sur une prise. Ensuite, vous téléchargez une application. Elle va se connecter directement à votre Starlink. Quarante cinq secondes après votre satellite est fixé et vous avez 150 méga. Voilà, miracle." Le réseau Starlink représente au moins un inconvénient : comme la constellation n’est pas encore complète, il y a des coupures nettes de temps en temps, le temps que l’antenne au sol récupère le signal.

Pour le moment, le réseau d'Elon Musk n'a pas d'équivalent en France. Certains fournisseurs d’accès français comme Orange proposent bien des abonnements via satellites mais cela passe par un réseau assez lent, de quelques satellites, avec un débit limité. Pourquoi ? La différence c’est l’altitude à laquelle se situe ces satellites. Les réseaux existants utilisent des engins très gros et qui se trouvent à plusieurs milliers de kilomètres de la Terre. Les nouvelles constellations, elles, sont composées de groupes de petits satellites qui tournent aux alentours de 500 kilomètres au-dessus de nos têtes. Moins loin, plus nombreux, cela réduit le temps de latence et autorise le transfert de beaucoup de données. Bref, c’est de la télécommunication du 21e siècle disponible partout sur la planète.

Être indépendants des États-Unis

L’Europe veut donc lancer sa propre constellation de satellites avec un objectif principal : être indépendant de Starlink et des autres réseaux privés afin d’assurer la souveraineté et la sécurité des télécommunications des habitants et des institutions de l’Union. La philosophie est la même que pour Galileo, le système de localisation lancé par l’UE au début des années 2000 pour ne plus dépendre des données du GPS américain. Selon Clément Galic, dirigeant d'Unseenlabs, une start-up rennaise chargée par la Commission européenne de plancher, avec d’autres, sur ce projet de constellation, "on n'a pas de solution souveraine de télécommunications sécurisées en Europe."

"L'Europe est dépendante à la fois du réseau de câbles sous marins et dans l'espace, il n'y a rien d'européen. Donc on est dépendants aujourd'hui des États-Unis. Et potentiellement, on peut perdre nos télécoms si on coupe les bons câbles sous-marins au bon moment."

Clément Galic

à franceinfo

Clément Galic alerte : "On peut avoir des gros soucis télécom en Europe.  Géopolitiquement même, que ce soient les cyberattaques, les désinformations, etc, ça se base sur du renseignement, de l'écoute et de la manipulation des technologies de communication." Le patron d'Unseenlabs donne l'exemple de la messagerie Whatsapp sur laquelle nous réalisons l'interview. "On ne va pas se mentir, il y a certains États, s'ils ont envie, ils écoutent notre conversation. C'est un vrai enjeu. On maîtrisera les tuyaux sur lesquels on parlera."

Reste à savoir combien coûtera cette constellation. Pas de chiffre précis pour l’instant. Plusieurs milliards d’euros, peut-être plus. Le commissaire européen Thierry Breton espère en tout cas un premier déploiement rapide, d’ici 2024. 

Embouteillage et risque de collision

Parallèlement, l’Europe tente d’organiser cette nouvelle conquête de l’espace. Car la concurrence est déjà rude : Starlink et ses plus de 40 000 satellites potentiels, Kuiper, le réseau de Jeff Bezos – on parle d’au moins 3 000 satellites au total – dont les premiers lancements sont prévus en fin d’année. Il y a aussi les Russes, les Chinois – 13 000 satellites annoncés – ou encore le réseau Oneweb dont les Français Eutelsat et Airbus sont partenaires et qui est en cours de déploiement. 

Cela représente potentiellement des dizaines de milliers de satellites au-dessus de nos têtes. C’est plus que le total de tous les engins envoyés depuis le début de la conquête spatiale, en 1957. Risque-t-on l’embouteillage voire le carambolage ? Christophe Bonnal, expert au CNES, le centre national d’études spatiales, est plutôt rassurant : "Le point clé là-dedans, ce n'est pas trop le nombre, c'est leur efficacité à éviter les collisions. S'ils sont tous là de façon complètement erratique, c'est fichu tout de suite. Par contre, tant qu'ils ont un contrôle de leur trajectoire et du risque de collision très élevé et très efficace, il n'y a pas trop de problèmes."

"C'est comme un carrefour bien occupé dans Paris, où vous avez plein de bagnoles. Tant que ça se passe bien au point de vue des constellations, on parle de 30 000 satellites d'ici 2030, très franchement, c'est jouable."

Christophe Bonnal, expert au CNES

à franceinfo

Pour l’instant, ceux qui se plaignent le plus de ces constellations sont les astronomes professionnels dont les observations depuis la Terre sont perturbées par ces milliers de satellites déjà très visibles dans le ciel.

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