Cet article date de plus de trois ans.

Comment le réchauffement climatique a permis au poisson-lapin de passer des mers tropicales à la Méditerranée

En Méditerranée, le réchauffement des eaux a apporté avec lui plusieurs espèces invasives. Parmi elles, un poisson tropical, le Siganus ou poisson-lapin : un fléau pour les algues et les herbiers, ressources essentielles pour les espèces locales.

Article rédigé par Etienne Monin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un poisson-lapin à queue tronquée. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Des poissons de mauvais augure : parmi les exemples concrets du réchauffement climatique, il y a l'apparition en mer Méditerranée de centaines d'espèces tropicales. Et ils font des ravages. On estime que plus d'une centaine de poissons tropicaux sont venus s'y installer, menaçant par leur présence la biodiversité

C'est le cas par exemple du Siganus, un petit poisson originaire de la mer Rouge, que l'on appelle aussi le poisson-lapin. Pas aussi sympa que son nom pourrait le laisser supposer. Au large des côtes turques, à Antalya, les amateurs de plongée ont suivi l'installation du poisson-lapin. Et ses ravages. "Tous les rochers sont dénudés parce qu'ils sont en train de manger toutes les algues qui poussent, se désole Murat Draman, responsable d'un club de plongée. C'est un peu comme la surface de la Lune, tout est blanc dans les premiers 15-20 mètres. Ils sont en train de transformer ces zones en désert."

Pour l’instant le poisson-lapin est implanté au nord-est de la Méditerranée, son territoire s’arrête au sud de la Sicile. On l'a même aperçu sur les côtes marseillaises il y a treize ans, mais il n'est pas encore implanté en France.

Une arrivée par le canal de Suez

Plusieurs facteurs expliquent le voyage de l'espèce depuis la mer Rouge jusqu'en Méditerranée. Son arrivée a d'abord été favorisée par l'ouverture du canal de Suez, qui a créé un lien entre la mer Rouge et la Méditerranée, puis par les effets du changement climatique : la Méditerranée est la mer qui se réchauffe le plus vite. Et c'est en quelque sorte un feu vert donné à ces poissons-lapins. "Pendant très longtemps ils ont été cantonnés à l'est de la Méditerranée, et depuis le début des années 2000, on commence à la voir se propager un peu plus vers le Nord, vers l'Ouest", explique Christophe Lejeusne, chercheur à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine. 

Avec le réchauffement climatique, l'ensemble de la Méditerranée est en train de se réchauffer. Les eaux chaudes se déplacent et ça ouvre de plus en plus de niches écologiques aux espèces qui aiment les eaux chaudes. 

Christophe Lejeusne, chercheur à l'IMBE

à franceinfo

Cette présence et cette colonisation mettent en danger la biodiversité de la mer.  C’est en quelque sorte la politique de la terre brulée : à cause de son régime alimentaire, le poisson-lapin détruit l’habitat et les ressources des espèces locales, en s’attaquant aux algues et aux herbiers, d'après Sébastien Villeger chargé de recherches au CNRS : "Tous les invertébrés, notamment certains crustacés mais également les poissons, ont besoin de ces habitats, pour leur stade au moins juvénile, pour se nourrir, se cacher dans ce qu'on appelle des nurseries. On a une diminution de facteur deux du nombre d'espèces, à la fois d'invertébrés et de poissons, dans les zones où les Siganus sont très abondants."

Dans une étude publiée cet été, le WWF alerte sur l’impact des espèces invasives et sur l’état de la Méditerranée. D’un côté, le réchauffement ouvre la voie, de l’autre la surpêche affaiblit les prédateurs de ces poissons exotiques. Pour Ludovic-Frère Escoffier, responsable du programme Vie des océans au WWF, c’est un cocktail explosif : "Il y a une réduction de 40% du nombre d'espèces natives de cette région. Donc nous sommes vraiment face à un problème de biodiversité et de climat."

Une situation qui va empirer ?

D’après le WWF, près de 1 000 espèces, parmi lesquelles 126 poissons, auraient migré de la mer Rouge vers la Méditerranée. Sur leur chemin, Bela Galil est en première ligne. Elle vit en Israël et elle travaille sur le sujet depuis un demi-siècle, au Muséum d’histoire naturelle de Tel-Aviv. "Nous avons 460 espèces invasives le long de 190 km de côte, détaille Bella Galil. 90% d'entre elles sont passées par le canal de Suez. Elles se sont répandues de plus en plus vite et de plus en plus loin dans la Méditerranée".

La solution pour tenter de soutenir les espèces natives passerait notamment par une restauration des écosystèmes et une pêche plus ciblée, selon le WWF. Le poisson-lapin n’est d'ailleurs pas l’espèce exotique la plus inquiétante. Le poisson-lion, par exemple, est venimeux et s’attaque directement aux autres poissons, et pas seulement à leur environnement.  

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