Législatives 2024 : pouvoir d'achat, fiscalité, main-d'œuvre étrangère... Dans le Médoc, des viticulteurs confrontés aux difficultés et à la peur de l'avenir
À une heure et demie au nord de Bordeaux, Guillaume Poitevin est vigneron depuis trois générations dans la petite commune de Jau-Dignac-et-Loirac. "C'est un métier qui fait rêver beaucoup de gens. Mais qui aujourd'hui ne nous fait plus rêver, nous", dit-il. Plutôt que des rêves, Guillaume Poitevin évoque des nuits blanches, à se demander "ce qu'on pourrait faire de nos vignes. C'est la réflexion de chaque nuit de viticulteur. Je pense qu'aujourd'hui, les viticulteurs ne dorment pas bien."
Car dans le Médoc comme ailleurs dans le Bordelais, les ventes s’écroulent depuis cinq ans à cause d’une accumulation de mauvaises nouvelles : le Brexit, les taxes américaines sur l’importation de vin, le Covid, le marché chinois en berne… Et même en France, la consommation de vin recule d’année en année. Résultat : aujourd’hui, Guillaume Poitevin ne sait plus quoi faire de son vin. Et comme ses confrères, il est confronté à un problème de surproduction : les bouteilles s’accumulent, les dettes aussi. "Les chais sont saturés, et nous sommes endettés. On finance aujourd'hui des récoltes qui ne sont pas vendues. Et on perd espoir un peu tous les jours, faute de visibilité. Regardez ce qui se passe au gouvernement : la fiscalité change tous les quatre matins... On vit au jour le jour."
Trop d'instabilité, pas de visibilité
Le changement de gouvernement, après les législatives, ajoute encore un peu d’instabilité dans le secteur viticole. Par exemple, de nouvelles aides pour les viticulteurs, comme des subventions pour arracher des pieds de vigne, devaient être annoncées à la rentrée. "On a peur que ce changement de gouvernement ne repousse ces prises de décision", dit Guillaume Poitevin.
"Indépendamment de la couleur de l'Assemblée, on a besoin d'aide et de réponses concrètes."
Guillaume Poitevin, viticulteurà franceinfo
Dans le Médoc, le Rassemblement national est arrivé largement en tête lors des élections européennes. Le viticulteur comprend ce vote, qui traduit selon lui un ras-le-bol et une peur de l’avenir que le viticulteur perçoit chez ses salariés : "Leur inquiétude c'est 'Est-ce qu'il va nous garder ? Est-ce qu'on va être licenciés ?' Ils ont ce problème d'inflation, de pouvoir d'achat. Quand ils me demandent 'Cela va aller mieux quand ?', je n'ai pas de réponse à leur apporter."
Un candidat pourra-t-il apporter des réponses à Guillaume Poitevin ? Difficile à dire pour le moment, la campagne ne fait que commencer. En revanche une chose est sûre pour lui : les mesures restrictives en matière d’immigration seraient un désastre pour sa profession. "Dans le Médoc, toutes les entreprises viticoles emploient de la main-d'œuvre qui arrive de Roumanie, du Maroc... S'en passer, ce n'est pas possible." Il a bien essayé de recruter localement, mais il n’y arrive pas. Personne ne vient toquer à notre porte, dit-il.
Des mesures "qu'il ne faut pas traîner" à mettre en œuvre
Damien Pagès, lui aussi viticulteur à Jau-Dignac-et-Loirac, confirme qu'il est difficile d’embaucher des saisonniers locaux, difficile aussi de motiver ses neuf salariés à temps plein. Il demande donc aux candidats à la prochaine élection de se pencher sérieusement sur la question du coût du travail. "Un salarié a besoin d'être motivé. Pour ce faire, il faut pouvoir l'accompagner économiquement. Entre le salaire brut que l'on paye et le salaire net qui va dans leur poche, il y a une inégalité, estime-t-il. Cela coûte trop cher à l'entreprise, et le salarié n'a pas assez de pouvoir d'achat par rapport à quelqu'un qui reste chez lui."
"Quand on aura remis tout ça en ordre, et ce n'est peut-être pas demain la veille, on pourra remettre le train sur les rails. Il ne faut pas traîner."
Damien Pagès, viticulteurà franceinfo
Damien Pagès cite d’autres mesures, qu'il juge urgentes : mettre fin aux lourdeurs administratives, assouplir les normes environnementales, rendre le vin français à nouveau compétitif… Et surtout, redonner espoir aux petits patrons comme lui : "Si demain mon entreprise venait à s'arrêter, je cesserais d'être chef d'entreprise. On nous a dégoûtés de l'entrepreneuriat, alors que c'est ce qui nous anime."
Depuis plusieurs mois, Damien Pagès ne se verse pas de salaire. Lui qui travaille pourtant dix heures par jour, six jours sur sept.
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