"Leur unique objectif était de violer les femmes" : des documents judiciaires montrent l'horreur des persécutions sur les Yézidies commises par l'État islamique

Pour la première fois, un Français de l'État islamique est mis en cause pour "génocide" et "crimes contre l'humanité". Le jihadiste Sabri Essid, demi-frère de Mohamed Merah et présumé mort en Syrie, est poursuivi pour avoir violé, torturé et réduit en esclavage des femmes yézidies en Syrie entre 2014 et 2016.
Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Des femmes yézidies irakiennes brandissent des pancartes avec des photos de victimes de l'invasion de leur région en 2014 par le groupe État islamique (EI), le 2 août 2019. Photo d'illustration. (Safin HAMID / AFP)

Le dossier judiciaire révèle l'ampleur de ce trafic d'esclaves orchestré par l'État islamique. Parmi les nombreux documents internes au commandement de Daesh, et archivés dans le dossier judiciaire incriminant Sabri Essid, il y a cette note intitulée "Prix et mode d'emploi des esclaves islamiques". Ce document fixait des tarifs, par tranche d'âge, de ces esclaves yézidies, une minorité kurde polythéiste persécutée pendant des siècles et considérée comme "des adorateurs de Satan", par l'État islamique.

"Les prix pouvaient flamber au marché noir", se souvient Bahzad Farhan, qui nous parle depuis Dohuk en Irak, où il réside. Depuis dix ans, ce Yézidi répertorie les horreurs déversées sur la toile par les jihadistes. Le trentenaire a lui-même exfiltré directement sur le terrain 55 femmes et enfants yézidis : "Au milieu de la vente d'armes, d'explosifs, de ceintures d'explosifs, il y avait des filles, vierges de préférence ou des petits garçons. Les garçons âgés de 5 à 13 ans coûtaient entre 1 500 dollars à 6 000 dollars. Les filles âgées de 7 à 16 ans coûtaient très cher, de 7 000 dollars à 14 000 dollars." 

Bahzad Farhan a accumulé plus de 6 000 pages de captures d'écrans en infiltrant plusieurs groupes de vente sur la messagerie Telegram, des preuves, "les plus insoutenables", qu'il a soumises à la justice française : "On voyait par exemple une gamine de 10 ans poser de manière suggestive, maquillées, très dénudée et dans la conversation avec le jihadiste, on l'entendait pleurer. C'est bouleversant. Leur unique objectif, c'était de violer et de maltraiter ces femmes et ces enfants." Les garçons, eux, étaient enrôlés dès 7 ans, avec trois à sept semaines d'entraînement militaire pour se préparer à des missions suicides, sur le champ de bataille.

Des viols sur les fillettes autorisés à partir de 9 ans

Les membres de l'EI prenaient des photos des femmes et des filles pour se les échanger. "Les responsables de l'État islamique indiquaient clairement que les esclaves sexuelles devaient être données aux responsables et aux militants de l'État islamique en particulier aux combattants de première ligne", notent les juges dans le dossier de Sabri Essid. Près de 80% des Yézidies capturées étaient mises à disposition personnelle des combattants. Les 20% restant, "propriété collective" de l'État islamique, étaient réparties dans des camps militaires en Irak ou en Syrie.

Les tribunaux de Daesh délivraient des "contrats de ventes de bien", qui autorisaient leur propriétaire à disposer de l'esclave comme il le souhaitait, avec, soi-disant, des règles à suivre, d'après les préceptes d'une brochure de l'État islamique, intitulée "Quinze commandements pour forniquer avec les captives", document retrouvé par les forces spéciales américaines sur zone en 2015. Les juges islamiques autorisaient le viol sur les fillettes à partir de 9 ans, mais interdiction de toucher les femmes enceintes, interdiction de les faire avorter. Sauf que ces règles n'étaient jamais respectées, selon les spécialistes.

"Tout a commencé par l'attaque de leur village au Mont Sinjar, leur mari, leur père, leur frère, sont assassinés devant leurs yeux", rappelle Clémence Bectarte, l'avocate des deux femmes yézidies qui ont témoigné contre le jihadiste Français Sabri Essid et qui se sont portées partie civile dans le dossier. "Ensuite, elles sont enlevées avec leurs enfants et vendues à des combattants de l'État islamique. Elles subissent des viols et des crimes sexuels dont on a du mal à imaginer l'ampleur, avec du chantage fait sur leurs enfants, ça va beaucoup contribuer à les terroriser."

"Elles vont être pendant des années achetées puis revendues, jusqu'à être libérées et notamment grâce à Bahzad Farhan."

Clémence Bectarte, avocate

à franceinfo

Ces femmes sont aujourd'hui réfugiées pour la plupart en Australie, au Canada ou en Allemagne, pays d'accueil des exilés Yézidis. 

Cinq procédures judiciaires en cours en France

Au moment où la communauté internationale judiciarise ce trafic, dix ans après, des esclaves yézidies sont toujours séquestrées. La jeune Fawzia Sido, 21 ans, kidnappée il y a dix ans par un militant palestinien de Daech en Irak et emmenée par la suite à Gaza où elle était retenue, a pu retrouver la liberté il y a une dizaine de jours. 

Selon les derniers chiffres de l'Organisation internationale des migrations (OIM) qui date d'août 2023, 1 277 Yézidies sont toujours retenues captives à travers le monde. "La crainte d'un retour de Daesh en Irak ou en Syrie est réelle. Si Daesh reprend la main, ça va recommencer, d'où la nécessité de lutter aussi au niveau judiciaire, car ce qui est arrivé aux Yézidis est méconnu, estime Patrick Baudoin de la Ligue des droits de l'homme (LDH). L'utilité d'un procès de cette nature, c'est de faire connaître. Rien n'est pire que le silence pour ces crimes, car il permet aux bourreaux de poursuivre sans crainte."

En France, cinq procédures judiciaires sont en cours pour génocide du peuple yézidi. Deux concernent des "revenantes", des femmes françaises de jihadistes, aujourd'hui incarcérées après leur retour de Syrie et d'Irak.

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