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Liban : la "Suisse" du Moyen-Orient est aujourd'hui menacée de famine

Le Liban s'enfonce jour après jour dans la crise. Celui qui était surnommé la "Suisse du Moyen-Orient" est devenu au fil des années un pays où plus d'un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté.

Article rédigé par Aurélien Colly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Crise économique, crise sanitaire, drame humain après les explosions au port de Beyrouth l'été dernier. Le Liban, sans moyen, doit se reconstruire à tous les niveaux. (ALINE LAFOY / HANS LUCAS)

Le Liban est un pays qui s’enfonce inexorablement. La crise est économique, financière, sanitaire, sécuritaire et politique. Plus d’un Libanais sur deux vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, un sur trois dans l’extrême pauvreté. Une menace de famine a même été décrétée par l'Organisation des Nations unies (ONU).

>> L'article à lire pour comprendre la crise économique et humanitaire qui ébranle le Liban.

En moins de deux ans, la livre libanaise a perdu 85 % de sa valeur face au dollar alors que les prix ont augmenté de 400 %. Le pouvoir d’achat des Libanais s’est littéralement évaporé. Ils sont des centaines de milliers à plonger dans la précarité. Jihad, 28 ans et bénévole de l’Association DPNA, distribue des colis alimentaires dans le quartier d’Achrafieh : "Le riz, le sucre, le lait, l'huile. Les gens ne peuvent pas acheter ces choses dont ils ont besoin tous les jours."

On n'a rien pour manger.

Une habitante de Beyrouth

à franceinfo

"Je n'ai pas d'argent. Ça fait trois mois que je n'achète plus de viande, confie cette habitante du quartier. C'est très difficile".

Le Liban était surnommé la "Suisse du Moyen-Orient" pour son réseau et son secret bancaire, un paradis fiscal, offrant des rendements mirobolants pour attirer les dollars des expatriés libanais, des petits épargnants, de la communauté internationale pour des projets de développement. Mais ces dollars ont servi à combler le déficit chronique de l’État libanais.

Un état "clientéliste, corrompu, inefficace, hérité de la guerre civile", selon Sahar Al Attar, du magazine économique Le Commerce du levant, qui retrace l'histoire politique de son pays. "Les chefs de guerre sont devenus des hommes politiques. Comme à l'époque de la guerre civile où le chef des sunnites devait protéger les siens et le chef des chrétiens devait protéger son camp, cette même mentalité a été appliquée à l'échelle de l’État libanais. On a donc institutionnalisé la corruption et un système de redistribution, qui font qu'on puise dans la dette publique qui s'est emballée."

Un Libanais tient une boîte avec des produits secs dans son magasin d'antiquités, après avoir transformé l'endroit en centre de distribution de nourriture pour les personnes dans le besoin, à Beyrouth en 2020. (PATRICK BAZ / AFP)

Résultat, la dette a quasiment atteint 200 % du PIB. L'État libanais a fait défaut en mars 2020, incapable de rembourser ses créanciers, essentiellement les banques libanaises, avec l’argent de leurs déposants. Voilà pourquoi la livre a plongé face au dollar, voilà pourquoi les Libanais n’ont plus accès à leurs dépôts en dollars. Une pyramide de Ponzi qui s’est effondrée, disent les plus critiques, en laminant la classe moyenne, toutes communautés confondues : chrétiens, musulmans, sunnites, chiites ou encore druzes.

Un effondrement économique aggravé par la crise sanitaire

Le Liban a été très touché par le Covid-19. Une crise sanitaire révélatrice d’un État libanais en faillite. Trois confinements sans aucune aide financière ont aggravé la situation économique, notamment des plus pauvres, comme les travailleurs journaliers. Les confinements ont été peu respectés et l'épidémie s’est propagée, provoquant la saturation des hôpitaux publics, totalement dépassés.

Il y a une responsabilité de l'État face à la mort de chaque personne.

Dr Saliba

à franceinfo

"Ça relève totalement de l'incompétence de notre État. Aujourd'hui on fonctionne sur un réseau d'électricité d'État et un réseau parallèle privé, révèle celui qui a créé une association qui importe et prête des respirateurs aux malades du Covid-19, faute de place dans les hôpitaux. L'eau, c'est la même chose. La corruption nous est renvoyée à la face. Normalement la dignité est préservée par un État, on n’a pas besoin de venir mendier l'oxygène."

Le port de Beyrouth, plus de huit mois après l'explosion. (JOSEPH EID / AFP)

L’État libanais mis en cause dans sa gestion de la pandémie de Covid-19, mais aussi dans l’explosion du port de Beyrouth le 4 août dernier. Plus de 200 morts, 6 500 blessés, 300 000 Libanais affectés. L’État et sa gestion opaque du port pose question : pourquoi et comment un stock de nitrate d’ammonium a été oublié sept ans dans le port avant d’exploser ? Qui savait ? Quel responsable politique n’a rien fait, ou éventuellement est impliqué ?

L’enquête est en cours mais n’avance pas, car la justice libanaise n’est pas indépendante. La reconstruction n’avance pas non plus. Dans les quartiers dévastés, les appartements, les immeubles ou les commerces qui ont été refaits l’ont été grâce à des associations, des ONG et des aides internationales. Neuf mois après, le Liban n’a toujours pas de gouvernement, en dépit des pressions, notamment française. Pas de gouvernement, donc pas de réformes et pas d’aide internationale. Pendant ce temps, les chefs de partis confessionnels se renvoient la responsabilité du blocage, sur fond de lutte d’influence entre Iran, pays arabes et puissances occidentales.

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