"Pourquoi je serais un danger ? On n’a rien à faire ici…" : l’attente sans fin des orphelins de jihadistes français dans le camp syrien de Roj
À Roj, dans le nord-est syrien, géré par les Kurdes, des enfants de jihadistes français croupissent depuis trois ans dans un camp au milieu du désert. À franceinfo, qui les a rencontrés dans leur prison à ciel ouvert, ils témoignent de leur désespoir et se souviennent de leur vie d'avant.
Depuis trois ans, Sophia, Lisa et tous les autres enfants de jihadistes français croupissent dans le camp de Roj, dans le nord-est de la Syrie, une région autonome gérée par les Kurdes, alors que la France rechigne, comme d'autres États, à les rapatrier, malgré les condamnations internationales et les pétitions.
Derrière les barbelés de cette prison à ciel ouvert, en plein désert, l’une des gardiennes kurdes nous conduit sous la tente de Sophia, 16 ans. Sophia est née en banlieue parisienne, elle avait 8 ans quand sa mère l’a emmenée en Syrie.
Aujourd’hui, Sophia vit toute seule, dans ce camp avec ses trois petits frères. Leur mère et leur sœur sont mortes. Au sol, trois matelas, une vieille télé et quelques couvertures. Abattue, Sophia a perdu tout espoir de rentrer un jour dans son pays. "C'est difficile, j'aimerais rentrer en France, c'est mon pays, je ne veux pas rester dans le camp, explique-t-elle, éteinte. J'ai plein de famille en France : mes tantes, ma grand-mère, mon grand-père. Je suis fâchée : cela fait longtemps qu'on croit qu'ils vont nous rapatrier et à chaque fois qu'on a l'espoir, eh ben on perd espoir."
"Cela fait presque quatre ans qu'on est dans le camp, seuls, sans mère. On n'a rien à faire ici. Pourquoi les gens disent que je suis un danger ? Je suis venue ici quand j'étais petite, avec ma mère. Je ne sais pas pourquoi je serais un danger."
Sophia, 16 ansà franceinfo
Un visage d’enfant, un corps tout frêle. Les orphelins se nourrissent des rations qu’on leur distribue : du riz, des lentilles, du sucre. Trois fois par semaine, ils vont à l’école : au programme l’arabe, l’anglais et les mathématiques. Pas loin, Lisa, 14 ans, a elle aussi perdu sa mère et ses deux frères dans la bataille de Baghouz, lors de la chute du califat. Gravement blessée, elle vit avec sa grande sœur Sarah chez une femme ouzbèke. "Lors de la guerre, là-bas, tout le monde mourait, décrit Lisa. Quand nous avons fui, dans la montagne, il y avait plein de bombes. Ma mère a reçu une bombe sur elle. Elle et mes frères sont morts. Puis il y a eu des balles sur moi, sur mon bras, et je suis tombée. Puis il y a eu des balles dans mes jambes. Après, des militaires sont venus nous porter et je suis venue ici à Roj."
"Le plus dur, pour moi, c'est que je suis blessée et que je suis toute seule, sans ma famille, continue la jeune fille, qui peut à peine bouger son bras. Je n'arrive pas à bien dormir : jamais dans la nuit, je dors." Avant, elle était hébergée chez une femme qui la frappait. Ce n'est plus le cas maintenant. "Maintenant, ça va, assure-t-elle. Maintenant, on est habitués : partout où on est, on arrive à vivre."
Lisa est partie en Syrie quand elle avait sept ans. Elle n’a pas oublié sa vie d’avant, dans une grande ville de l’ouest de la France. La vie d’une petite fille normale. "Je me souviens de mon école, de mes amis, se souvient la petite fille. On partait à l'école, on sortait avec les amis, le vélo, les trottinettes... J'allais aux anniversaires de mes amis, c'était bien. Ce qui me manque le plus ? Retourner dans mon pays."
"J'aimerais bien retourner en France dans ma famille. C'est dur, ici, dans le camp. Si ça avait été entre nos mains, jamais on ne serait venus ici. On était trop petits. On ne serait jamais venus là."
Lisa, 14 ansà franceinfo
À Roj, plus de 300 femmes et enfants sont rentrés l'année dernière dans leur pays : en Allemagne, en Suède ou en Belgique. La France elle n’a rapatrié que sept enfants en 2021. Paris refuse catégoriquement de rapatrier les mères, ce qui les oblige à un choix douloureux : se séparer de son enfant, avec qui elles vivent et dorment, pour lui offrir une meilleure vie en France. Dans le camp, elles sont encore 80 femmes, accompagnées de leurs 200 enfants français. Parmi elles, Celia mère jihadiste de 27 ans, qui se dit prête à se séparer de son fils, mais le cœur brisé.
"Mon fils me demande : 'J'ai cinq ans, maman... Est-ce que j'irais à l'école ?'"
Céliaà franceinfo
"Je lui fais l'école, poursuit Célia, la voix brisée par les sanglots, mais je n'ai aucun support. Un enfant de cinq ans, il va à la maternelle, il a une maîtresse. Alors il me dit : 'Maman, même si je pars, toi, tu viendras et tu reviendras me chercher.' Quand votre fils vous dit cela, vous avez votre coeur de mère qui est déchiré parce que vous aimez votre enfant plus que tout. Mais à côté de cela, vous voulez le meilleur pour lui. Pourquoi faire encore un traumatisme à un enfant en le séparant de sa mère ? Alors qu'on leur demande d'être rapatriées, et qu'on regrette, qu'on sait ce qui nous attend, qu'on paiera. On le sait. Mais en attendant, on est toujours là."
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