Que reste-t-il de l’Unef, syndicat étudiant sous le feu des polémiques ?
Alors que son audience décline sur les campus universitaires, le syndicat étudiant fait face à un sentiment de malaise chez certains de ses militants, et aux violentes attaques de ses opposants.
"L'Unef n’est plus un syndicat, c’est un mouvement politique groupusculaire : on se croirait en Chine maoïste", assénait dimanche 21 mars le socialiste Jean-Christophe Cambadélis dans les colonnes du Figaro, lui-même un des principaux animateurs du mouvement étudiant lors de la réforme Saunier-Seïté, en 1976, aux côtés de Julien Dray et d'autres futurs dirigeants socialistes. Attaqué et critiqué depuis quelques jours pour ses réunions "racisées non-mixtes", l'Unef est la cible d'une partie de la droite, qui réclame sa dissolution.
Les critiques fusent venant des élus de droite, mais aussi des ministres, et, à gauche, de certains anciens dirigeants de l’Unef. En cause, ces dernières années, ces réunions non mixtes, une vice-présidente voilée et, plus récemment, à Sciences Po Grenoble, des accusations d'islamophobie contre des enseignants, que l'Unef a relayées, avant de se rétracter. Au-delà de la polémique politique, le malaise a saisi certains anciens militants. Parmi eux, Benjamin, qui souhaite rester anonyme. Ce dernier a dirigé une section locale du syndicat étudiant avant d'en claquer la porte en 2017. "À l'Unef, j'ai été ravi de voir que les enjeux de lutte contre le racisme et les discriminations étaient pris à bras le corps", indique-t-il.
Sur les ressources idéologiques en ce qui concerne les discriminations, je pense qu'on a fait un pas de côté et qu'on n'aurait pas dû. Certains diront qu'on est trop inspirés par des idéologies américaines. Je ne sais pas trop où est l'erreur mais je pense que cela n'aboutit pas à grand-chose.
Benjamin, ex-militantà franceinfo
Plus généralement, Benjamin évoque une organisation parfois opaque, en décalage avec les besoins des étudiants. "Il n'y a pas de débat, c'est le plus fort qui gagne, c'est pas celui qui a raison, déplore-t-il. On ne va jamais s'asseoir et discuter sainement autour d'une table. Ce n'est pas dans ce genre de pratique conflictuelle que l'on va réussir à réformer profondément le syndicat." "L'Unef gagnerait à finalement retrouver le cœur des étudiants en allant leur parler de leurs problèmes du quotidien pour accéder à une bourse au logement Crous, conclut l'ancien militant. Il faut que cette organisation donne envie ! Et une organisation dans laquelle on te catégorise noir, blanc, jaune est une organisation opaque, sectaire et qui ne laisse personne y entrer."
Le temps de la toute puissante Unef est bien loin
Les critiques se multiplient ainsi contre un syndicat dont le poids décline dans la vie universitaire. L'Unef toute puissante est bien loin. Créée en 1907, l'Union nationale des étudiants de France a longtemps été le centre de formation de nombreuses personnalités politiques, au Parti socialiste mais pas seulement : dans ses rangs, on a pu trouver, outre Julien Dray, Clémentine Autin ou encore Sibeth Ndiaye. Son dernier moment de gloire remonte à 2006, lors de la lutte contre le Contrat première embauche.
L'organisation a connu, depuis, un lent déclin, avec seulement 30 000 adhérents revendiqués sur deux millions et demi d’étudiants. Soit 1% du total contre 10% en 1968. La bascule a eu lieu en 2017, lorsque l'Unef a perdu son statut de premier syndicat étudiant au profit de la Fage, autre organisation étudiante, qui remporte cette année-là deux élections majeures. Cet échec aura des répercussions sur la ligne politique du syndicat selon Jean-Philippe Legois, historien au groupe d'études sur les mouvements étudiants. "L'Unef n'est plus dans une position hégémonique : c'est la Fage qui peut maintenant se dire le syndicat des étudiants, explique-t-il. Et en même temps, ils sont doublés électoralement sur leur gauche par des syndicats plus radicaux."
Il est difficile pour l'Unef de se repositionner sur un projet syndical. Ils sont obligés d'essayer de répondre aux préoccupations de cette partie de la jeunesse qui est en recherche de positionnement un peu plus clivant par rapport à la société.
Jean-Philippe Legois, historienà franceinfo
L'Unef perdra donc en influence, pour traverser ensuite de graves crises, comme il y a trois ans, avec cette vague d'accusations de harcèlement et d'agressions sexuelles en interne.
L'organisation a également perdu en expérience, selon Robi Morder, président du groupe d'études sur les mouvements étudiants, et ancien membre du syndicat. "L'Unef, explique-t-il, a effectivement disparu d'un certain nombre de campus : l'organisation tâtonne et expérimente, par exemple avec les réunions non-mixtes. Il y a un tâtonnement dans l'apprentissage..."
Peut-être qu'il n'y a pas de liens suffisants avec des anciens et donc que cela amène à une sorte de maladresse. Comme s'il y avait une absence de métier, de professionnalisme syndical.
Robi Morderà franceinfo
Robi Morder estime en revanche que les attaques actuelles contre l'Unef sont exagérées. Il a d'ailleurs signé avec 250 autres "anciens" une tribune de soutien au syndicat.
Le débat existe toujours à l'Unef
Sur les réunions non-mixtes, les actuels dirigeants dénoncent une polémique montée en épingle. En revanche, Adrien Liénard, vice-président assume de faire de la lutte contre les discriminations une priorité, estimant que c'est une préoccupation de la base. "Ce n'est pas une obsession particulière, défend Adrien Liénard. C'est juste que bien réussir ses études, ce n'est pas seulement avoir suffisamment d'argent pour pouvoir vivre tout au long du mois. C'est aussi ne pas subir les discriminations dans le cadre de ses études. On a fait donc un combat au même titre que la lutte contre la précarité étudiante, par exemple."
"Si l'Unef existe depuis plus de 110 ans, c'est aussi parce qu'elle a été en phase avec le milieu étudiant à chaque fois, conclut Adrien Liénard. L'enseignement supérieur s'est massifié, il y a de plus en plus de personnes issues des classes populaires qui accèdent à l'université et les positions de l'Unef évoluent en fonction de l'évolution du milieu étudiant." À en croire Adrien Liénard, il existe toujours du débat à l'Unef : pour lui, si le syndicat est attaqué aujourd'hui, c'est aussi parce qu'il a voulu prendre son indépendance par rapport aux partis politiques.
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