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Reportage
Avec ses panneaux solaires au-dessus des cultures, l’agrivoltaïsme est-il vraiment l'avenir de l’agriculture ?
Quand les agriculteurs se transforment en producteurs d'électricité. L'agrivoltaïsme consiste à installer des panneaux photovoltaïques sur des parcelles agricoles. Sur le papier, c'est effectivement l'idéal vous avez des panneaux photovoltaïques qui produisent de l'électricité décarbonnée et en plus vous pouvez continuer à cultiver votre champ ou à faire paître votre bétail.
En tout cas, pour Sylvain Raison, il s'agit d'une belle opportunité. Il est agriculteur en Haute-Saône à Amance près de Vesoul. Il nous présente son installation qui fonctionne un peu comme les tournesols : "Les panneaux suivent le soleil. Le matin, ils regardent l'est et ils suivent tranquillement le soleil au cours de la journée."
"Il y a de la souplesse"
Ces panneaux sont en fait suspendus à des câbles à plus de cinq mètres de hauteur sur six rangées de 27 mètres assez pour faire pousser l'orge, le blé ou le soja. "La moissonneuse, le pulvérisateur ou tout type de machine passent, explique l'agriculteur. S'il faut mettre en place de l'arboriculture, ou quelque chose comme ça, comme il y a une certaines distances entre les panneaux et le sol, il y a de la souplesse."
On les oublierait presque ces panneaux si ce n'est ce léger bruit, un vrombissement qui vient des onduleurs électriques. Mais pas de quoi déconcentrer l'agriculteur pour qui cette mosaïque de panneaux suspendus à un autre avantage et c'est d'ailleurs le principe de l'agrivoltaïsme : protéger des intempéries les cultures ou le bétail. "On a un cas concret en 2022, on a eu un épisode de grêle, expose Sylvain Raison. Dans les parties témoins le soja était grêlé à 40% alors que sous les panneaux aucune feuille n'était touchée."
"En période estivale, quand il fait très chaud, on a 3°C de moins sous les panneaux que dans la partie témoin."
Sylvain Raison, agriculteurà francienfo
Des différences qui ont leur importance pour les cultures et pour la vie du sol, explique l'agriculteur : "Un ver de terre quand il fait 45°C il descend et il n'a plus d'activité biologique, donc plus de fonctionnement correct du sol." Mais l'installation sert avant tout à produire de l'électricité. L'équivalent de la consommation annuelle du village voisin, plus de 600 habitants. Il s'agit aussi d'un complément de revenus pour l'agriculteur, plus de 4 000 euros par an est versé par TSE, l'entreprise qui exploite l'installation et revend l'électricité à Enedis.
Une nouvelle réglementation trop laxiste ?
Mais l'agrivoltaïsme est loin de convaincre tout le monde, et plusieurs camps s'affrontent en ce moment autour du décret d'application de la loi sur l'accélération des énergies renouvelable. Le décret est censé définir les règles d’implantation de ces panneaux mais les agriculteurs attendent toujours des précisions sur ses modalités d'application. "Ça fait maintenant plus de neuf mois qu'on attend le décret, déplore Maxime Buizard du syndicat des Jeunes agriculteurs. Il y a une certaine urgence dans les départements parce qu'on voit les projets se multiplier et on a vu des technologies agrivoltées qui étaient très vertueuses."
À l'inverse, on voit un petit peu d'agrivoltaïsme prétexte, c'est-à-dire des parcs photovoltaïques déguisés en agrivoltaïsme où on se contente de mettre une ou deux ruches ou quatre ou cinq moutons en-dessous pour faire croire que c'est de l'agriculture."
Maxime Buizard du syndicat des Jeunes agriculteursà franceinfo
Le bras de fer se joue autour du nombre maximal de panneaux installés dans une parcelle, ce qu'on appelle le plafond de couverture. Le gouvernement a fini par trancher avec jusqu'à 40% d'un terrain agricole pourra être couvert par ces panneaux. Un seuil bien trop haut pour les jeunes agriculteurs. D'autres syndicats comme la Confédération paysanne rejettent tout projet d'agrivoltaïsme. Ils craignent que les cultures disparaissent au profit des panneaux solaires.
"Il faut trouver un équilibre"
Christian Dupraz, chercheur à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), est un spécialiste et un partisan de l'agrivoltaïsme. Il a été consulté pour ce projet de décret. Mais il l'assure, le gouvernement a préféré écouter les producteurs d'électricité plutôt que les scientifiques : "Les cultures, les plantes, poussent avec la lumière du soleil. Quand on met des panneaux photovoltaïques ont fait de l'ombre. Il faut donc trouver un équilibre entre les deux. Nos travaux ont montré qu'en moyenne il ne faudrait pas dépasser 20% de couverture de la parcelle par les panneaux pour que les rendements des cultures restent normaux ou presque normaux."
"Nous sommes plutôt inquiets parce que pour 40% de panneaux la production des cultures va vraiment diminuer fortement, et elles ne seront plus rentables."
Christian Dupraz, chercheur à l'Inraeà franceinfo
Ce décret doit maintenant être approuvé par le Conseil supérieur de l'énergie et le Conseil d'État qui pourrait être saisi par certains députés si le texte n'est pas modifié.
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