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Reportage
"La peur, je l’ai oubliée quand mon meilleur ami est mort", témoigne une des ces Ukrainiennes au front
Beaucoup de femmes rencontrées sur le front ukrainien, dans le Donbass, sont médecins, dans l’armée et les conditions sont parfois vraiment difficiles. Victoria soigne les soldats au plus près des tranchées de Bakhmout. Son poste est situé 50 mètres derrière le front, avec le commandement. Et sa mission quotidienne est de ramener les blessés et leur apporter les premiers soins.
Mais certains jours, ce ne sont pas des blessés qu’elle récupère, mais des morts, jusqu’à une dizaine parfois. "La peur, je l’ai oubliée dès ma première fois, il y a quelques mois, quand mon meilleur ami est mort et que j’ai dû aller chercher son corps. Depuis ça, je n’ai plus peur."
Au milieu de ce champ de bataille, Victoria dit qu’elle n’est "pas une femme, juste une militaire. J’ai les mêmes responsabilités que les hommes, et d’ailleurs je ne demande aucun traitement de faveur. Les gars qui m’entourent ont remplacé mon père, ma mère et ma grand-mère. Ils sont ma nouvelle famille". Victoria a 30 ans. De son bonnet kaki dépassent des boucles d’oreilles, une longue tresse, du vernis, même sur ses ongles. Elle explique que ça lui tient à cœur d’être, comme elle dit, en forme et en beauté. "Pour moi, c’est obligatoire. Quand on s’occupe des blessés, c’est essentiel d’avoir bonne mine. C’est plus apaisant, pour les soldats."
Soigner, mais aussi nourrir
Il faut soigner au plus près des combats et nourrir, aussi, les militaires. Dans un minuscule village libéré du Donbass, à quelques kilomètres de la ligne de front, Katerina la cantinière est en train de chercher du fromage blanc. Elle tient absolument à préparer des syrnikis, sortes de petits pancakes ukrainiens alors qu’on entend au loin les détonations, là où se battent "ses gars" comme elle dit. "Je suis de Kharkiv. Alors, je n’ai pas peur. Je suis habituée aux bombardements." Elle explique qu’elle coupe du bois, fait du feu, des repas chauds… Repas qu’elle ne sert qu’à des hommes. "Peut-être parce que la guerre est une affaire d’hommes ? avance-t-elle en souriant. Mais il y a des femmes fortes qui défendent leur patrie !" Elle-même a été médaillée la semaine dernière. Elle nous montre fièrement la photo. Une récompense pour son implication et son patriotisme.
Dur d’être une femme dans l’armée en guerre ? La plupart répondent non, sauf peut-être quand même sur un aspect logistique. "L’uniforme que l’armée nous donne est vraiment fait pour les hommes et donc, très inconfortable pour nous. Du coup, je me suis acheté ma propre tenue !" confie Katerina, le sourire radieux.
Dans une association basée à Kiev, la capitale, à 500 kilomètres du front de l’Est, Ksenia, 26 ans, consacre son temps à équiper les femmes de l’armée ukrainienne. "On a fait fabriquer ces uniformes féminins, plus souples, mieux taillés", explique la jeune femme.
Dans le coffre de cette voiture qui s’apprête à partir pour la guerre, il y a 120 plaques de métal, un peu plus légères que pour le lourd gilet pare-balles habituel. Et dans l’entrepôt, des cartons pleins, bientôt envoyés vers les femmes au front "avec des produits d’hygiène, et même des urinoirs féminins de poche !" montre Kesnia. Elle précise qu’elle reçoit en ce moment 30 demandes par jour de ces femmes soldats en manque d’équipements adaptés.
50 000 femmes environ se battent aux côtés des hommes en Ukraine et c’est une présence que les Ukrainiens aiment bien mettre en avant. Comme dans cette chanson qui leur rend hommage et qui dit : "Les filles coupent leurs tresses, font leurs valises, prennent les armes."
Mais seulement 5 000 femmes sont vraiment en première ligne et rarement à des postes de décision, même si ça commence à changer. Katia discute avec "les gars" dans le Donbass Elle vient d’avoir 30 ans, dont quatre passés à l’Académie militaire de Lviv. Elle est aujourd’hui commandante adjointe d’une brigade d’assaut qui combat dans les tranchées de Bakhmout. 120 soldats sont sous ses ordres. Cette petite jeune femme, toute menue, joue surtout auprès d’eux un rôle logistique et psychologique, ce qui lui semble tout à fait réaliste : "Je ne suis pas pour que les femmes combattent, comme le font les hommes. Une éclaireuse, par exemple, manquerait de force, et aurait besoin d’aide, pour retirer des mines. Donc, chacun a sa place dans l’armée et chacun, à son niveau, ira vers la victoire."
Katia est en fait très respectée par son unité. Elle a été blessée, en mars. "Mais j’ai été probablement la moins blessée de tous, raconte-t-elle, modeste. On peut dire, je crois, que je suis née sous une bonne étoile." Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas superstitieuse. Dans cette base où elle vit et travaille, son précédent chat noir est en photo au mur. Il s’appelait Cauchemar. Et le deuxième l’accompagne ici, près du front de Bakhmout : Satan, de son petit nom. Katia en est sûre : les chats noirs lui portent chance.
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