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Reportage
"Notre filière n'a jamais été autant en difficulté" : à Lorient, le projet de construction d'un port de pêche à Oman divise les professionnels
Pourra-t-on bientôt acheter du poisson venu d'Oman sur le port de Lorient ? C'est ce que redoutent les élus écologistes et pêcheurs bretons, puisque le port et l'agglomération ont décidé d'investir directement dans la construction d’un port au sultanat. Objectif à moyen terme : importer du poisson par avion de la péninsule arabique.
À Lorient, la polémique enfle. Un débat est d'ailleurs organisé sur place, vendredi 12 janvier au soir. D'autant que ce n'est pas n'importe quel port de pêche, mais le deuxième en France. Près de 100 000 tonnes de poissons y transitent chaque année environ, dont 80% qui proviennent déjà de l'étranger, principalement d'Europe. "Du merlan de Roscoff, du lieu noir écossais... On est obligés de composer avec les différentes provenances pour avoir l'offre la plus complémentaire pour nos clients", explique Jean Besnard, mareyeur. Il achète du poisson en gros, le fait venir en camion sur le port et le revend directement aux industriels ou aux particuliers.
Une incohérence, d'après les mareyeurs
Il le reconnaît : sur ses lignes, le poisson français se fait rare. Mais pas question pour autant d'aller en chercher à Oman, comme le projet pourrait le permettre : "C'est une logistique qui me paraît assez compliquée. De le faire venir par avion-cargo, le faire atterrir à Lorient ou à Paris pour le faire acheminer de nouveau à Lorient... Il n'y a pas de cohérence, se désole Jean Besnard. Je préfère me concentrer à sauvegarder l'existant. Faire en sorte que les pêcheurs puissent travailler, que les mareyeurs puissent acheter sous criée et proposer leurs produits partout sur les réseaux de distribution français, avant de me dire que des produits en provenance d'Oman pourraient constituer un remplacement des lignes déjà existantes."
L’objectif de faire venir du poisson d’Oman est que Lorient conserve sa place de n°2 des ventes de poissons en France. Le but est aussi de faire travailler l'ensemble des filières présentes sur le port qui compte 3 000 emplois directs.
Les pêcheurs en colère
Sur le quai du Pourquoi pas, là où sont alignés les derniers bateaux de pêche de Lorient. Les pêcheurs sont une petite centaine, ils étaient trois fois plus il y a 30 ans. David Le Quintrec est l'un d'entre eux et il ne cache pas sa colère : "Pour nous, la plus grosse aberration c'est que c'est notre président du comité national qui en a eu l'idée. Il est pour préserver et défendre les intérêts des pêcheurs ou pour préserver les intérêts des mareyeurs et du port de pêche ?"
Le marin parle de conflit d'intérêts et de concurrence déloyale. Laisser la possibilité d'importer du poisson d'Oman, qui devra parcourir 8 000 kilomètres, alors que les pêcheurs français font face à de nouvelles réglementations environnementales européennes et voient leurs quotas diminuer pour protéger les espèces. "La sole déjà, en l'espace d'une douzaine d'années on a diminué nos quotas par deux. Avant j'avais à peu près 20 tonnes maintenant je suis rendu à 10 tonnes. Imaginez la diminution. Le lieu jaune, on en avait à peu près 15-20 tonnes par an, maintenant on est à 7,5 tonnes", se désole le pêcheur.
Ce qui fait également grincer des dents, c'est l'investissement public de l'agglomération de Lorient qui soutient ce projet de port à Oman : 450 000 euros de prêt. Damien Girard est élu écologiste et membre de l'opposition : "On a des problèmes ici, on a une filière pêche qui n'a jamais été autant en difficulté donc on considère que l'argent et le temps que les décideurs politiques ont devraient être consacrés à notre port de pêche qui a besoin d'investissements. C'est là qu'on doit concentrer l'argent public !" Parmi les pistes envisagées, les pêcheurs avancent la nécessité de moderniser les pontons mais aussi de nettoyer le port ou encore de rénover les grues de déchargement.
Une opportunité d'après les promoteurs
C'est la société lorientaise Ker'Oman qui a obtenu la cogérance pour 28 ans du port d'Oman, à Duqm : un site de 250 hectares qui doit traiter, d'ici cinq ans, 200 000 tonnes de poissons par an. Pour Maurice Benoish, c'est une véritable opportunité pour le savoir-faire des entreprises lorientaises. Il est à la tête de Ker'Oman et ancien président du port de pêche de Lorient : "Il y a tout à faire ! Il y a des bâtiments, des caisses de criées, des transpalettes, des transbacs... Un port c'est extrêmement complexe. C'est une petite ville, il y a de l'électricité, il y a des fluides et on a tout ce savoir-faire puisque ça fait un siècle que le port existe ici." Quant à l'impact sur l'environnement et le coût écologique des transports, les dirigeants de Ker'Oman assurent que les études sont en cours à Oman.
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