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Reportage
"Nous sommes fiers de notre armée" : la population russe soutient-elle vraiment la guerre en Ukraine ?

Dans une semaine, le 24 février marquera les un an de la guerre en Ukraine. Le choix de franceinfo tente une plongée dans la tête des Russes pour comprendre la position de la population sur le conflit.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Un homme marche à côté d'un panneau d'affichage présentant un soldat russe participant à la guerre en Ukraine, à Moscou le 15 février 2023. (ALEXANDER NEMENOV / AFP)

Officiellement, la population russe soutient massivement le pouvoir et la guerre en Ukraine. C'est ce que disent les sondages effectués par le pouvoir, qui sont évidemment à prendre avec des pincettes. Mais c'est aussi ce que dit le dernier baromètre mensuel de l'institut Levada, le seul institut de sondage indépendant en Russie pour qui près des trois quarts des Russes interrogés soutiennent la guerre.

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C'est une tendance lourde depuis le début du conflit, elle s'est même plutôt renforcé, malgré les difficultés de l'armée russe qui n'échappe à personne en Russie, malgré les premières conséquences économiques des sanctions, malgré les morts, les enterrements de soldats qu'on ne peut plus dissimuler, ce soutien s'est consolidé.

"La censure est totale"

Le mari de Lioudmila était officier parachutiste et a été tué en mars 2022. Elle pourrait en vouloir au pouvoir mais ce n'est pas le cas : "Mon mari est ma fierté. Il a accompli un acte héroïque. Tout se passe comme il se doit. Cette victoire sera à nous. Je n'ai pas de doute sur le fait que nous combattons le fascisme. Je veux dire, je sais pourquoi et ce à quoi tout cela sert. Nous sommes fiers de notre armée."

"Nous sommes fiers de notre pays et nous sommes fiers de notre président."

Lioudmila, veuve d'un soldat russe mort en Ukraine

à franceinfo

Évidemment, on peut se demander comment on peut tenir de tels propos lorsque l'on a perdu son mari. Lev Goudkov, qui est le directeur scientifique de l'institut Levada, insiste sur le contexte russe : "Il faut comprendre les conditions dans lesquelles s'effectue la couverture de cette guerre. La censure est totale. Il y a 270 des médias les plus populaires qui ont été bloqués. Même s'il existe des possibilités d'information alternatives, la grande masse des gens n'en veut pas. Ça les maintient dans un état psychologique confortable : 'Je ne sais rien, ne me dites pas de choses désagréables.' On peut dire en effet que c'est une protection."

Lev Goudkov, sociologue et directeur scientifique de l'Institut Levada. (RADIO FRANCE)

Une absence de résistance ?

Ce sociologue, qui est extrêmement réputé en Russie, explique qu'en fait, il faudrait plutôt parler d'absence de résistance que de soutien. Chez de nombreux Russes, cela se traduit par le fait qu'en réalité ils regardent ailleurs. "Il y a le sentiment que si vous ne lisez pas les nouvelles, alors vous ne voyez pas les missiles ni l'agression, confie Konstantin, un quadragénaire moscovite. Et quand je vois des choses que je suis incapable d'affronter en tant qu'individu, que puis-je faire ? Monter sur les barricades ? Je suppose que je peux le faire, mais je comprends surtout que je risque de ruiner ma vie. Alors je ne sais pas, je vis ma vie."

Il faut rappeler qu'exprimer son opposition à la guerre peut vous valoir d'aller en prison. Et malgré tout, dans les sondages de Levada, on voit quand même qu'il y a par exemple une vraie fracture générationnelle. Chez les jeunes, ils sont près de 35 % à s'exprimer contre la guerre, ce qui pose des problèmes dans beaucoup de familles. "Il y a eu un moment difficile avec ma mère parce qu'elle croit que le gouvernement a fait ce qu'il fallait et qu'on est en guerre avec les Américains, raconte Katia, une jeune agricultrice qui habite à 200 kilomètres de Moscou. Je ne sais pas si ce sont des pensées inspirées par la propagande ou si ce sont de véritables réflexions personnelles."

"Bien sûr, on ne peut pas argumenter de façon constructive et calme et entendre son point de vue. C'est pourquoi nous n'en parlons pas. "

Katia, jeune agricultrice russe

à franceinfo

Ce que dit Katia permet de comprendre aussi comment s'opère ce soutien au pouvoir. Sa mère, dit-elle, croit que le pays est en guerre contre les Américains. C'est exactement l'inflexion qu'a pris le discours du pouvoir ces derniers temps.

L'idée d'une Russie assiégée

On ne parle plus de "dénazification" ou de "libération du Donbass". Le soutien au pouvoir se cristallise autour de l'idée d'une Russie assiégée. "La Russie est désormais bordée sur toutes ses frontières par des États inamicaux, argumente Svetlana, une retraitée de la banlieue de Moscou. Nous devrions écouter Poutine. Il a dit que si la fourniture d'armement, notamment de missiles à longue portée, se poursuit, les frontières de l'opération spéciale s'étendront. Qu'est-ce que cela signifie ? Que la Troisième Guerre mondiale pourrait commencer ?"

"Je n'ai pas peur de la guerre. S'il y a une guerre, le peuple russe ira à la guerre pour défendre sa patrie, c'est certain."

Svetlana, une retraitée russe

à franceinfo

Un discours qui peut sembler assez terrifiant, mais qu'on entend à peu près tous les soirs en ce moment à la télévision russe.

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