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Reportage
"On a le chauffage et du bon son" : au cœur du marché florissant des voitures sans permis chez les jeunes de Marseille

Ces véhicules, accessibles à partir de 14 ans avec le simple brevet de sécurité routière, séduisent de plus en plus de jeunes. Mais certains spécialistes alertent sur des accidents toujours plus nombreux.
Article rédigé par Hugo Charpentier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des dizaines de voiturettes sur le parking réservé aux élèves du lycée privé Paul Mélizan dans le 11e arrondissement de Marseille, en mai 2023. (HUGO CHARPENTIER / RADIO FRANCE)

La voiturette électrique est devenue tendance. C'est particulièrement frappant à Marseille où elles sont partout en ville. Il suffit de se rendre à la sortie d'un lycée huppé pour s'en rendre compte. Sur le parking de l'établissement, ni vélo, ni trottinette, ni même de scooter, mais des dizaines de voiturettes sans permis. "J’ai ma voiturette sans permis depuis deux ans bientôt, confie crânement Léa,16 ans, au volant de son petit véhicule. Ça permet de se déplacer sans être majeure, ni avoir le permis. C’est pratique pour aller en cours, sortir le week-end avec ses amis". 

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Elle ne roule qu'à 45 km/h, n'a pas le droit d'emprunter l'autoroute et ne peut emmener qu'un seul passager à bord. Mais sa voiturette a fière allure avec son look de citadine sportive et tout un tas d'options intégrées. "On a le CarPlay, donc un écran tactile, le chauffage et du bon son, énumère Léa. C’est un peu comme une voiture normale." 

Auparavant destinée aux personnes âgées 

Léa possède un véhicule de la marque Toyota, mais le marché est surtout dominé par les Français Renault, Citroën, Aixam, Ligier ou Chatenet, souvent à grands renforts de publicités.  Autour de 20 000 voitures sans permis sont vendues chaque année en France, et la moitié sont achetées par des parents, qui les jugent plus sûres qu'un scooter. Comptez quand même 8 000 euros pour une entrée de gamme et jusqu'à 22 000 pour une version de luxe ou une électrique.

Un marché en pleine croissance avec des concessions spécialisées qui se multiplient : pas moins de six sont installées uniquement à Marseille. Arnaud Attia, par exemple, vend des véhicules Chatenet. Il a vu sa clientèle se transformer en seulement quelques années. "Avant, les voitures sans permis, c’était pour les personnes âgées, les personnes sous tutelle ou sous curatelle. Maintenant, on a cette nouvelle clientèle, cette affluence de jeunes qui ont entre 14 et 18 ans, qui veulent acquérir une voiture sans permis", confirme-t-il.

"On va avoir cet effet de parents qui veulent se libérer du temps pour eux, autonomiser les enfants de plus en plus tôt."

Arnaud Attia, concessionnaire Chatenet à Marseille

à franceinfo

Plus d'autonomie, mais des ados déjà dépendants de la voiture individuelle. Selon le concessionnaire, tous les facteurs sont réunis à Marseille pour que ça marche. "Ce n’est pas une ville où les transports en commun vont partout. Il y a notamment, certaines villes oubliées où on a un seul bus qui passe le matin et un seul bus le soir, comme à Allauch, Plan-de-Cuques... Tout ce secteur-là, un petit peu en dehors de Marseille, où les gens vont avoir besoin de véhicules sans permis pour se déplacer aux heures où ils le souhaitent." 

Arnaud Attia, concessionnaire Chatenet dans le 10e arrondissement de Marseille, en mai 2023. (HUGO CHARPENTIER / RADIO FRANCE)

À cinq dans une voiture pour deux

L'immatriculation est obligatoire, mais contrairement aux véhicules classiques, les véhicules sans permis ne sont pas soumis au contrôle technique réglementaire. Toutefois, l'engouement des ados est suivi de près par les autorités. D’autant plus que, si l’on en croit les témoignages récoltés à la sortie du lycée, certains conducteurs ont parfois de mauvais comportements au volant. "Il y en a qui font n’importe quoi avec, raconte un lycéen, comme rouler vite dans des endroits à 30 km/h, dans des virages… Ça peut être dangereux". Un autre ajoute, qu'"il y en a plein qui sont cinq dans une voiture, genre, ils se mettent dans le coffre, à deux côté passager." "Après, c’est limité à 50 km/h, c’est l’avantage, même si certains les débrident pour être plus rapides", complète le premier. 

Au mois de mars, une jeune fille de 15 ans est morte près de Marignane. La voiturette s'est renversée. Ils étaient trois passagers à bord du véhicule prévu pour deux personnes. "On constate effectivement certains comportements déviants, confirme Rémi Bourdu, directeur du cabinet de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône. On a eu 44 accidents l’année dernière, ce qui constitue 2% des accidents du département et 24 blessés."

"Deux personnes ont été tuées, ça représente moins de 2% des décès sur les routes."

Rémi Bourdu, directeur du cabinet de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône

à franceinfo

"C’est un phénomène qui reste limité même si effectivement, ça prend de l’ampleur, poursuit Rémi Bourdu. C’est un public prioritaire, que nous essayons de toucher avec nos messages concernant la prévention des stupéfiants et des comportements de conduite sous alcool notamment." 

Huit heures de formation, très insuffisant pour certains

Pour prendre le volant, c’est comme pour le scooter, il suffit de passer le BSR, le brevet de sécurité routière, délivré après huit heures de formation. Pas toujours suffisant, selon Valérie Dijon, commandante de police à la retraite, qui intervient désormais en milieu scolaire aux côtés d'association de sécurité routière. "Huit heures peuvent suffire pour certains et être absolument insuffisantes pour d’autres, constate-t-elle. Il faudrait que la formation soit sanctionnée d’un vrai examen. Actuellement, ils font leurs huit heures et on leur donne leur titre pour qu’ils conduisent, mais ils ne sont pas titulaires du code de la route. Ils vont sur la route, mais on ne sait pas quelle a été vraiment leur type de formation. Si la personne est là et fait ses huit heures, elle va conduire. On ne peut rien dire contre. Elle est dans la légalité. Pour autant, est-ce qu’elle ne représente pas forcément un danger ? Il faut absolument qu’il y ait un vrai suivi".

La voiture sans permis est, en tout cas, devenue un sujet abordé lors des cessions de prévention routière au collège ou au lycée, au même titre que les trottinettes, le scooter ou le vélo.

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