Reportage
"On transmet une désillusion aux personnes" : très sollicités mais impuissants, ces élus locaux confrontés à la multiplication des plans sociaux sur leurs territoires

Tandis que les plans sociaux se multiplient en France, les élus locaux, en première ligne face aux salariés, sont quasiment impuissants pour répondre à leur détresse.
Article rédigé par Elie Abergel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Dans les Ardennes, à Bogny-sur-Meuse, près de 80 emplois sont menacés chez le métallurgiste Walor, sous-traitant automobile, et le maire est en première ligne pour essayer de limiter la casse sociale. (ELIE ABERGEL / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Le congrès des maires s'ouvre officiellement, mardi 19 novembre, dans un contexte politique tendu. Les maires sont, avec les députés, de plus en plus confrontés à des plans sociaux sur leurs communes ou leurs circonscriptions. Que font ces politiques sur le terrain quand cela arrive ? Quelles sont leurs marges de manœuvre ? Dans les Ardennes, à Bogny-sur-Meuse, près de 80 emplois sont menacés chez le métallurgiste Walor, sous-traitant automobile, et le maire est en première ligne pour essayer de limiter la casse sociale.

L'élu s'avance entre les pneus qui brûlent et les croix en bois installés symboliquement devant l'usine Walor. Le site est à l'arrêt depuis plusieurs jours. Les salariés abordent le maire. Leurs visages sont fermés, les traits tirés et regards noirs après l'offre de reprise de l'entreprise Forgex qui prévoit 79 licenciements sur 120 personnes. "Monsieur le maire, ils ne vont rien nous donner de plus et ils ne vont pas en prendre plus", s'inquiète une femme. Kévin Gengoux tente, comme il peut, de rassurer : "Il faut faire des réunions avec Bercy, et c'est là que nous, on doit taper là-dessus pour, qu'après, les plus hautes sphères de l'Etat puissent mettre la pression à des groupes comme ça..."

Des salariés en colère ont installé des pneus et des croix en bois symboliquement devant l'usine Walor, à Bogny-sur-Meuse, à l'arrêt depuis plusieurs jours. (ELIE ABERGEL / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Dans la vallée, il n'y a plus rien, vous connaissez le territoire !"

Alerter les responsables politiques nationaux, les ministères... Tout se fait main dans la main avec le député de la circonscription, Pierre Cordier, apparenté au groupe les Républicains à l'Assemblée nationale. Comme le maire de Bogny-sur-Meuse, l'élu est à "portée d'engueulades" des salariés de Walor et défend son action : "On est en train de monter au créneau auprès de l'Etat pour la reprise par Forgex. Arrêtez ! Ne me dites pas que vous n'êtes pas au courant."

Le ton monte. Un salarié l'interpelle : "Il y en a 80 qui vont sortir avec rien du tout, une main devant, une main derrière ! Dans la vallée, il n'y a plus rien, vous le savez parfaitement, vous connaissez le territoire !" Le député pris à partie est contraint d'expliquer aux ouvriers en colère qu'il n'est "que député".

"Je ne suis pas le repreneur, je ne suis pas le ministère de l'Industrie, et je ne suis pas le chef d'entreprise sortant."

Pierre Cordier, député LR

à franceinfo

Des propos inaudibles pour les ouvriers de Walor qui aimeraient que la politique puisse faire plus pour les aider. "On n'est pas dans le même monde ! Eux, c'est le monde des Bisounours", s'agace l'un. "Ils ne pourront rien faire. Déjà le président il ne peut rien faire. En plus, c'est une usine privée... Tu as beau être président, ça ne fera rien du tout", ajoute un autre. Pour les ouvriers de Walor, la politique est impuissante face à la loi du marché et la recherche de profits d'une entreprise privée.

"Je me suis demandé quelles actions j'allais pouvoir mener"

Les élus des Ardennes le savent bien, leurs pouvoirs sont limités mais pas question rester les bras croisés. Le maire de Bogny-sur-Meuse, Kévin Gengoux, se souvient de sa première pensée quand il a appris les licenciements chez Walor : "Tout de suite, je me suis dit que je n'avais pas la compétence économique. Je me suis demandé quelles actions j'allais pouvoir mener et comment j'allais pouvoir les mener pour essayer d'aider au maximum. Que mon mandat de maire serve techniquement à la population et pas seulement à la population de la commune mais à la population des Ardennes."

Première étape : "Essayer de médiatiser au maximum la chose. Ça donne un petit coup de pouce dans les négociations. Le but est de faire entendre Walor à l'Assemblée nationale, les faire entendre dans les plus hautes instances, que ça remonte jusqu'au ministre de l'Industrie." Et pour se faire entendre du ministre de l'Industrie, le maire de Bogny peut compter sur un relais : le député Pierre Cordier, ici, en commission des affaires économiques : "Monsieur le ministre, vous imaginez bien que je vais vous parler de l'entreprise Walor, qui est spécialisée dans la fabrication de bielles dans le département des Ardennes."

Oui, la politique peut aider, martèle le député. "Vous savez, si les élus disent : 'Bah, c'est comme ça, on ne peut rien faire'. C'est désespérer du rôle d'élu qu'il soit élu local ou élu national. Le travail d'un parlementaire, c'est bien entendu de solliciter au plus haut niveau, l'Etat mais également les services fiscaux, l'Ursaff... Tous les services de l'Etat pour faire en sorte que financièrement, le repreneur puisse garder le maximum d'emplois." Un travail de l'ombre donc, aux effets malgré tout limités.

"Ça ne sert à rien d'avoir autant de compétences"

Cela génère de la frustration chez ces maires qui tentent de préserver des emplois. À Bogny-sur-Meuse Kévin Gengoux voudrait faire plus : "Ça ne sert à rien d'avoir autant de compétences et puis derrière, une catastrophe sociale comme ça. Le seul pouvoir qui me manque, c'est l'économie et un pouvoir d'action sur leur problématique."

Un sentiment de frustration partagé par un autre maire des Ardennes, Vouziers, à 60 kilomètres de là, où 115 emplois sont menacés sur le site Walor. Yan Dugard essaie également de sauver un maximum d'emploi, sans arriver à combler les attentes des salariés menacés : "Quand ils sont en face de nous et qu'ils nous sollicitent, oh la la... Ils repartent, ils doivent se dire : 'Le maire il ne veut rien faire ou il ne peut rien faire'. Donc on transmet une désillusion aux personnes et là, ça fait mal aussi. Il y a une image qui me vient, c'est comme un enfant qui attend quelque chose de ses parents et qu'on ne peut pas donner..." Ces maires confient se sentir démunis et abandonnés par l'Etat qui, selon eux, les laisse mener seuls le combat face à des multinationales.

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