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Reportage
JO Paris 2024 : pourquoi la participation des athlètes transgenres, laissée à l’appréciation des fédérations, pose question
Les athlètes transgenres pourront-ils disputer les Jeux olympiques de Paris 2024 ? À un an et deux mois de l’événement sportif du siècle en France, les portes sont en train de se refermer, en particulier pour les femmes transgenres. Cela concerne plusieurs sports phares des JO.
Une personne transgenre est une personne qui ne s’identifie pas à son sexe de naissance. Une femme transgenre par exemple, est une personne qui est née dans un corps d’homme, mais dont l’identité de genre est féminine. Elle a le sentiment, souvent depuis la petite enfance, d’être une femme. Au contraire, pour une personne cisgenre, le sexe de naissance correspond à son identité de genre. On parle de personne transgenre, mais pas de transsexuel, qui est un terme utilisé par la médecine du XIXe siècle pour signifier que la personne était atteinte d’une maladie mentale. Ce préjugé a persisté jusqu’en 2019 et cela ne fait que quatre ans que l’Organisation mondiale de la santé a retiré la transidentité de sa liste des maladies mentales. La transidentité n’a rien de pathologique, ce n’est pas un choix personnel, cela s’impose à l’individu.
Sur les terrains de sport, la pratique des athlètes transgenres est en train d’être remise en cause, en tout cas au plus haut niveau et chez les femmes. L’athlétisme en est le meilleur exemple. Le 23 mars dernier, la Fédération internationale World Athletics a décidé d’exclure de la catégorie féminine les athlètes transgenres qui avaient connu une puberté masculine, donc celles qui ont fait leur transition après 10-12 ans - ce qui correspond à toutes ces athlètes - et ce, pour des raisons d’équité sportive.
Un seuil de testostérone a été fixé en 2011 par la Fédération internationale d'athlétisme
L’instance considère que les femmes transgenres sont avantagées physiquement et physiologiquement par rapport à leurs concurrents cisgenres, notamment grâce à la testostérone, ou plutôt World Athletics n’a pas assez de preuves que les femmes transgenres ne sont pas avantagées. "Tant qu'on n'en sait pas plus, on n'est pas prêts à prendre ce risque. Pour moi, il s'agit de protéger la catégorie féminine. Si on ne le fait pas, on risque de compromettre les ambitions et les aspirations d'une génération de femmes athlètes", a justifié le président Sebastian Coe qui était à Paris début mai.
Sebastian Coe l’assure, ce n’est pas gravé dans le marbre, mais cela exclut de fait les athlètes transgenres des Jeux de Paris 2024 puisque la phase de qualification débute en juillet prochain. Sauf retournement de situation, cela ne changera donc pas. Pourtant, jusqu’ici, les femmes transgenres avaient leur place dans l’athlétisme de haut niveau, mais sous conditions. En 2011, la Fédération internationale d’athlétisme a fixé un seuil de testostérone en dessous duquel une athlète doit rester pour participer aux compétitions féminines. Il était d'abord de dix nanomole/litre de sang, avant de passer à cinq nanomole/litre en 2018. Un durcissement du règlement était attendu cette année et c’est finalement une exclusion pure et simple des femmes transgenres qui est actée.
>> L’athlète Halba Diouf, femme trans, noire et musulmane
À la Fédération française d'athlétisme, un groupe de travail a été lancé sur le sujet. Pour l'instant, le médecin de la FFA, Antoine Bruneau, se range derrière World Athletics. "On a montré que cet avantage - en tout cas cette différence - entre les hommes et les femmes qui se crée au moment de la puberté devient vraiment conséquent, significatif, indique-t-il. Et même quand on prend des hormones qui vont réduire à l'âge adulte le taux de testostérone circulant, cet effet de la puberté sur la masse musculaire, la masse osseuse et aussi probablement sur des données neurologiques et de comportement, est acquis à vie".
Selon les instances de l’athlétisme, la transition hormonale des femmes transgenres - qui prennent notamment des bloqueurs de testostérone - n’est donc pas suffisante pour garantir l’équité sportive. Cet argument est rejeté par la sprinteuse transgenre Halba Diouf, du club d’Aix Athlé Provence. Elle a perdu une seconde aux 200 mètres après sa transition : "Avant, j'étais à 22"45, maintenant je suis à 23"45. Tu perds tout ! Mon entraîneur me disait "Halba, tu dois faire le deuil de ton ancien toi, tu oublies tes performances en tant qu'homme". Il faut que je deale avec ça".
"Comme je dis souvent aux autres : 'Tu dois dealer avec moi, moi, je dois dealer avec ma transition'"
Halba Diouf, sprinteuseà franceinfo
Halba Diouf a 21 ans et sait depuis toute petite qu’elle est née dans un corps de garçon qui n’est pas le sien. Elle a grandi dans une famille sénégalaise musulmane, impossible d’aborder le sujet à la maison, sauf avec ses deux sœurs. À 18 ans, elle quitte alors Rouen pour la Provence pour faire ses études et elle entame sa transition hormonale en 2020. Un an plus tard, elle devient "officiellement" femme sur son état-civil et prend une licence d’athlétisme pour les compétitions féminines dans lesquelles elle performe. En janvier dernier, elle remporte le 60 mètres et le 200 mètres aux championnats régionaux de Miramas, ce qui la qualifie pour les championnats de France Elite.
Pourtant, quelques jours avant la compétition, la Fédération française annule son inscription et ses résultats précédents. La FFA lui explique qu’il y a un problème avec son passeport biologique alors qu’Halba a bien transmis ses tests et peut prouver qu’elle est entre 0,10 et 0,20 nanomole de testostérone/litre, ce qui est donc largement en dessous du seuil. Le président André Giraud racontera dans la presse que des athlètes et des entraîneurs se sont plaints à la fédération après les Régionaux. Halba serait trop masculine, trop musclée, mais ce récit ne tient pas selon la sprinteuse. "Mes concurrentes, je les connais. On s'appelle, on se voit à l'extérieur, elles me soutiennent. Donc c'est assez contradictoire ! Je n'ai jamais rencontré de problèmes avec les femmes", assure-t-elle.
Depuis, Halba ne peut plus concourir au-delà du niveau départemental. À partir des championnats régionaux, les résultats comptent pour accéder aux compétitions internationales. La décision d’exclure Halba du haut niveau a été prise par la Fédération française en février, avant donc le nouveau règlement de World Athletics. De son côté, Halba veut se battre pour avoir le droit de concourir et compte toujours se qualifier aux JO.
La Fédération française de rugby autorise les athlètes transgenres à participer aux compétitions officielles
Pour le médecin généticien Eric Vilain, professeur à l’Université de Californie, spécialiste du développement sexuel et genré qui conseille le Comité international olympique depuis 2011, la vraie question n’est pas de savoir si les athlètes transgenres ont un avantage par rapport à leurs concurrents, mais plutôt, ont-elles un avantage insurmontable ? "Tous les athlètes de niveau olympique ont des avantages considérables, souligne-t-il. Soit des avantages génétiques, soit des avantages métaboliques, s'ils ont accès à une meilleure nutrition, à de meilleurs entraîneurs, des équipements qui sont meilleurs. Mais ça, on n'y voit pas de problème. La question, c'est : est-ce qu'être transgenre est un avantage qui va rendre tous ces autres avantages finalement très petits ? Et en fait, il y a très peu de preuves pour ça".
Il y a des sports, en revanche, qui sont en pointe sur l’inclusion des athlètes transgenres. C’est le cas du rugby. La FFR est la première fédération française à les autoriser à disputer les compétitions officielles, et notamment dans l’élite féminine. C’est le cas d’Alexya Cerenys, troisième ligne de Lons Section Paloise. Cette ouverture a été impulsée par Jean-Bernard Moles, président de la Commission anti-discrimination de la fédération : "Le rugby est un sport de différences. Il y en a qui courent vite, d'autres lentement, il y a des gros, il y a des maigres, il y a des grands, il y a des petits. Nous devons être un sport qui accepte toutes les différences et qui touche évidemment la transidentité".
Concernant la menace que les femmes transgenres représenteraient pour leurs concurrentes cisgenres, elle n'est pas justifiée selon Eric Arassus, co-président de la Fédération sportive LGBT+ qui estime que c'est une minorité plus fragile que dangereuse. "Certaines personnes ont l'impression qu'une personne trans va arriver et va faire trois mètres de plus qu'elle et cinquante kilos de plus. Ce n'est pas tout à fait ça. Les personnes trans sont des personnes plutôt fragiles qui demandent juste à être intégrées et être respectées. Elles ne sont pas là pour truster des titres !", explique-t-il.
Selon lui, l’exclusion des athlètes transgenres témoigne surtout de la montée du mouvement anti-trans en France et dans le monde. Au-delà du débat scientifique, tout cela est éminemment politique, et épineux. La ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a annoncé la constitution, ou plutôt la réactivation, d’un groupe d’experts sur le sujet d’ici l’automne 2023. En revanche, la ministre, comme le patron de Paris 2024 Tony Estanguet, ne donne aucune préconisation au mouvement sportif. Ils suivent la voie du Comité international olympique qui laisse la main à chaque fédération internationale. Cela dépendra donc des sports.
En 2021 à Tokyo, l’haltérophile néo-zélandaise Laurel Hubbard était la première femme ouvertement transgenre à disputer une épreuve olympique. Elle a fini dernière. Antoine Bruneau à la Fédération d'athlétisme, comme le professeur Eric Vilain et d'autres experts appellent surtout à repenser les catégories de compétition. Le genre pourrait par exemple être dépassé et les athlètes plutôt rassemblés par gabarit ou par performance.
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