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Reportage
Pénurie d'amoxicilline : des pharmaciens en fabriquent eux-mêmes face à l'explosion de la demande mondiale
Passé 18 heures, à la nuit tombée, en plein cœur de Paris, il ne reste plus que trois préparatrices volontaires au sous-sol de la pharmacie Delpech, plus exactement dans le laboratoire spécialisé en préparations magistrales. "Là, j’ai un client qui nous demande dix pots d’amoxicilline 250 pour les enfants", explique Rachida El Hssaini, la responsable de la production.
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Depuis une dizaine de jours, la pharmacie fabrique en effet exceptionnellement de l'amoxicilline. "Quand on a des préparations comme ça, où il y a un peu le rush, il y a toujours deux-trois-quatre personnes qui restent le soir, qui viennent sur leur jour de repos pour donner un coup de main. C’est un traitement qui est nécessaire. On sait que derrière, il y a un enfant qui est malade, donc quand il y a besoin, on est là", sourit Rachida El Hssaini.
Le principe est simple : prendre de la poudre d'amoxicilline dans de gros pots et la répartir dans des gélules que les patients avaleront. Le patron de la pharmacie, Fabien Bruno, donne lui aussi un coup de main. "Là, on a fait 300 gélules, ça fait 20 patients d’un coup. On va l’expédier ce soir pour que le client l’ait demain après-midi". La pharmacie fabrique 15 000 gélules chaque soir, soit un traitement de cinq jours pour 1 000 patients.
Pas de pénurie de matière première, c'est le conditionnement qui pêche
C'est l'Agence de sécurité du médicament qui a appelé à l’aide les pharmaciens il y a deux semaines, pour fabriquer de l'amoxicilline car, si on ne manque pas de matière première, ça coince sur l’étape du conditionnement, la mise en gélule, en sachet, ou la transformation en comprimés. Une quarantaine de pharmaciens se sont portés volontaires. La fabrication est évidemment artisanale, avec leurs petits moyens. "On n’est pas là pour remplacer l’industrie pharmaceutique, on n’a pas du tout cette vocation", confirme Fabien Bruno.
"On fabrique moins bien sûr mais on pense qu’on va réussir à faire à peu près un tiers de la production industrielle. C’est déjà énorme, à 40 sous-traitants."
Fabien Bruno, pharmacienà franceinfo
"On ne va pas forcément être capables de la soutenir dans le temps. Ce qu’il faut, c’est qu’on soit capables de la tenir deux ou trois mois, le temps que l’industrie pharmaceutique arrive à produire à nouveau en quantité suffisante l’amoxicilline et là, le pari sera gagné ! On aura mené à bien la mission qui nous a été confiée", conclut-il.
Pourquoi les industriels ne sont-ils pas au rendez-vous ?
Il existe en France quatre grands industriels qui fabriquent de l’amoxicilline. Parmi eux, le Britannique GSK qui possède une usine à Mayenne, dans l’ouest de la France. Ici, on fabrique l’amoxicilline en comprimés, en sachets, en gélules. On parle là de deux millions et demi de gélules par jour. L’usine est revenue au volume d’avant-Covid, mais c’est insuffisant. "Il y a quand même deux évènements exceptionnels avec le Covid : une baisse drastique de la demande, donc il a fallu à un moment réduire les volumes produits, et après, une augmentation à partir septembre 2021 très forte, explique le directeur de l’usine,Christophe Wadoux. En fait, on a une demande aujourd’hui qui est supérieure à la demande d’antibiotiques avant-Covid. La réaction est nécessaire. On va passer d’un site qui était aux alentours de 350 personnes à 440".
La demande mondiale a tellement explosé que l’usine va augmenter cette année sa production d’amoxicilline d’environ 30%. Depuis septembre, elle tourne d’ailleurs jour et nuit, du lundi au vendredi. Mais pourquoi les industriels n’ont-ils pas anticipé cette hausse de la demande ? Parce qu’ils ont été surpris, ils ne s’attendaient pas à ce que la consommation d’antibiotiques d’aujourd’hui dépasse celle d’avant-Covid. Cela, Christophe Wadoux s’en est rendu compte il y a environ un an et demi et c’est là que GSK a décidé d’augmenter sa production. "Mais ça ne se fait pas d’un claquement de doigts, explique le dirigeant. Pour un conducteur de ligne, il faut entre quatre et six mois de formation pour qu’il soit autonome. On a une région où on a le plein-emploi, ce qui veut dire qu’on a peu de personnes sur le marché. Il faut réussir à les attirer".
Christophe Wadoux estime que l’usine pourra répondre à toutes les demandes de ses clients d’ici deux mois, le même délai avancé par le ministre de la Santé, François Braun, avant que la France ne soit "tranquille" sur les stocks d’amoxicilline.
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