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Reportage
Trafic de drogue à Marseille : "Ils ont 15-16 ans, et ça se prend pour des hommes", dénonce un père de famille
Le 11 janvier 2023, au coeur de la cité des Aygalades dans les quartiers Nord, Hamza, chauffeur VTC de 27 ans, dépose un client au pied d'un immeuble. Il est au volant lorsqu'il aperçoit un homme armé et cagoulé qui approche à la recherche de sa cible. "Je lui dis : 'Ecoutez, moi, je suis VTC, j'attends un client.' Il ne me croit pas. Il me dit : 'OK, tu vas voir.' Et là, il commence à tirer, à tirer, à tirer. Et là, je vois qu'il y a une balle qui rentre, qui me touche dans mon dos et une balle qui explose mon épaule."
Hamza s'en sort miraculeusement, malgré les quelque 22 douilles de Kalachnikov retrouvées sur les lieux. Le tireur était très jeune. Hamza en est convaincu : "J'ai vu au début qu'il n'arrivait pas à manipuler la kalachnikov. Ça se voit que c'est un petit, ça reste toujours gravé dans ma tête."
Quelques jours plus tard, toujours en janvier, un père de famille est tué par balles à la cité Consolat. Cela s'est passé juste sous les fenêtres de Gérard qui vit dans le quartier depuis plus de 40 ans. franceinfo l'avait rencontré quelques heures après les faits. Pas de doute pour lui, là encore l'âge des tireurs se situe autour de la vingtaine, et même peut être moins : "C'est terrible. Ils ont 15-16 ans, et ça se prend pour des hommes. On leur file un peu de shit, on leur donne un calibre, et ils sont prêts à tuer père et mère pour ça. Putain, de mon temps, ça n'existait pas tout ça."
"Des jeunes de toute la France"
Des jeunes qui tuent, d'autres qui meurent. C'est le cas en février 2023 d'un adolescent de 17 ans connu pour trafic de drogue. Et puis, il y a aussi les blessés qui sont nombreux parmi les guetteurs, ceux qui sont chargés de surveiller les points de deal. Un jeune de 17 ans et un autre de 14 ans ont par exemple été gravement touchés par balle ces derniers jours.
Des jeunes qui sont pour la plupart originaires de ces quartiers gangrenés par le trafic de stupéfiants. Mais pas seulement, certains ne sont même pas Marseillais. "On a aussi des jeunes de toute la France, explique Rudy Manna, secrétaire départemental du syndicat de police Alliance, puisqu'il y a des appels d'offres qui sont faits par les réseaux sociaux, notamment SnapChat, pour recruter souvent pour être des guetteurs."
"Les prix sont extrêmement attractifs à Marseille, ce qui fait que ça attire puisqu'on voit des gamins de 13, 14, 15 ans qui rentrent dans ces trafics de stups. Ce sont souvent des jeunes désœuvrés, la quasi-totalité du temps déscolarisé."
Rudy Manna, secrétaire départemental Bouches-du-Rhône du syndicat Allianceà franceinfo
Une fois dans l'engrenage du trafic, ces jeunes sont à la merci du réseau. "Imaginez quand c'est un jeune qui vient de Grenoble, de Dijon ou de Rennes, il se retrouve totalement isolé et totalement désemparé, poursuit Rudy Manna. Et là, il y a peu de personnes qui sont une capacité de le sortir des pièges tendus par ces trafiquants."
Ils sont en première ligne d'une violence devenu aveugle. Pour en échapper, certains préfèrent se rendre. "Effectivement, il n'est pas rare, et c'est même de plus en plus fréquent, presque hebdomadaire, que des jeunes appellent la police, le 17, ou se signalent à un équipage qui est de passage dans une cité, pour se faire interpeller, pour appeler à l'aide parce qu'ils sont séquestrés ou menacés ou battus par le réseau qui les emploie", raconte Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône. La violence entre bandes rivales est aussi une conséquence indirecte de la stratégie policière dite du "pilonnage" qui déstabilise les réseaux. Des opérations "coup de poing" à la demande ministre du l'Intérieur Gérald Darmanin. Trente-neuf points de deal ont été démantelés en 2022, et plus de cinq tonnes de cannabis saisis.
"Le discours de Darmanin a ses limites"
Mais à Marseille des voix s'élèvent pour dénoncer cette méthode jugée inutile, voire contre-productive. Selon eux, interpeller des petites mains du trafic ne suffira pas à mettre un terme au cycle infernal de la violence. "Aujourd'hui, l'occupation éphémère de nos quartiers avec des cars de CRS, les réseaux s'en sont très bien accommodés, explique Hassen Hammou, président du collectif Trop jeune pour mourir. C'est là que je dis que le discours de Darmanin a ses limites. On sait tous, responsables associatifs et habitants, que les vrais organisateurs du trafic dans nos quartiers se trouvent à l'étranger. Les instructions sont données à longue distance. La main d'œuvre qu'ils utilisent à distance, ce n'est pas leur affaire. Leur affaire, c'est que leurs réseaux tournent et leurs réseaux tournent."
"Je crois que les descentes policières sont des outils de communication qui servent justement à répondre aux journalistes ou à être proche de l'actualité en disant que l'État agit. Je n'ai pas l'impression que ce soit le véritable outil qui règle la situation."
Hassen Hammou, président du collectif Trop jeunes pour mourirà franceinfo
De son côté, la préfète de police assure que tout est mis en œuvre pour mener ces investigations au long cours : "Il y a une action qui est moins visible et qui est très importante, c'est celle de la police judiciaire pour démanteler les réseaux de A à Z, d'aller chercher les têtes de réseaux. En début d'année, j'ai onze policiers judiciaires supplémentaires qui sont arrivés pour traiter ces sujets et il y en a dix autres qui arriveront en cours d'année 2023. Tous les aspects sont traités, que ce soit les consommateurs, les points de deal dans les cités, mais aussi les têtes de réseaux qui tirent toutes les ficelles de tous ces trafics."
Il n'empêche, certaines associations, et notamment celle présidée par Hassen Hammou, sont en train actuellement d'interpeller députés et sénateurs. Leur objectif est de les convaincre d'ouvrir une commission d'enquête parlementaire. "Je pense qu'on ne peut plus se fier à la seule parole des ministres, déclare le président du collectif "Trop jeunes pour mourir". Il faut une vraie évaluation de l'action de l'État dans nos quartiers, après tant d'années de règlements de comptes et de violence dans nos quartiers. Je pense que c'est la moindre des choses qu'on doit aux habitants." Un courrier en ce sens vient d'être envoyé. Une lettre adressée aux différents groupes parlementaires à l'exception du Rassemblement national.
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