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Reportage
Un mois après le tremblement de terre, vers un séisme politique pour Recep Tayyip Erdogan ?

Le séisme change-t-il le climat politique dans les régions dévastées par le tremblement de terre du 6 février dernier ? Franceinfo est allé prendre le pouls de la population, notamment à Antioche, une ville particulièrement meurtrie.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
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Un graffiti à Adiyaman qui dit "On ne pardonne pas". (MARIE-PIERRE VEROT/ RADIO FRANCE)

Antioche, en Turquie, a été presque totalement détruite par le tremblement de terre du 6 février. Les habitants l’ont quittée, pour d’autres villes ou des villages dans la montagne, les moins chanceux logent dans des tentes, plantées dans les parcs d’Antioche et aux alentours. Ils reviennent durant la journée récupérer quelques affaires pour ceux dont la maison n’est pas totalement effondrée. C’est le cas d’Ertan, ingénieur agronome. Il habitait dans la vieille ville. Il a tout perdu la nuit du sinistre.

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La Turquie s'apprête malgré la catastrophe à aller voter le 14 mai prochaine lors des élections présidentielle et législatives, et lui compte bien participer. Mais il ne votera pas pour le gouvernement : "Les gens sensés n’oublieront pas le manque d’organisation, la coordination bancale, explique-t-il. C’est toujours le cas même aujourd’hui… Nos amis ici aident les gens à déménager leurs affaires. Il n’y a rien d’organisé. On doit se débrouiller par nous-mêmes… C’est le désordre. On est tous inquiets. Et notre colère, on ne l’oubliera pas."

La députée du Parti ouvrier de Turquie Sera Kadigil; (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)

Dans un campement organisé par le parti ouvrier de Turquie, le long du fleuve Oronte, la députée Sera Kadıgil en est sûre : la colère est plus forte que la tristesse. "Même si les gens ont perdu leur enfant, leurs parents et n’ont pu les enterrer, soupire la députée. Car vous voyez autour de vous tous ces immeubles détruits, vous pouvez sentir les corps en décomposition sous les débris."

"Nous n’oublierons pas, nous ne pardonnerons pas et nous ne laisserons personne oublier ou pardonner."

Sara Kadigil, députée

à franceinfo

A quelques kilomètres dans la montagne, ce n’est pas le même discours : des villageoises se retrouvent autour d’une table entre deux tentes surplombant les champs d’oliviers. Et la politique est le cadet de leurs soucis.

Des villageoises près d’Antioche. (MARIE-PIERRE VEROT)

"Croyez-nous, notre seule préoccupation, c’est le manque d’eau, l’état psychologique des enfants, et le fait qu’on ait pas reçu assez de tentes, souligne l’une d’elle. Il y en a dans les centres-villes, mais pas dans les villages. Il n’y a pas assez d’aide qui atteigne les villages. Voilà nos problèmes. Donc oui, il y aura des élections, on y repensera le moment venu. Mais pour l’instant, on n’y pense pas. On pense à survivre, à nos enfants."

Certains sont cependant prêts à pardonner à Erdogan

Il subsiste donc beaucoup d’incertitudes, malgré la colère née des retards et des manquements du gouvernement. C’est flagrant à Adiyaman à quelque 300 km au nord d’Antioche. Là aussi, la ville est toujours un immense chantier, même paysage de gravats, de camps de tentes. C’est un fief de l’AKP le parti au pouvoir. C’est là que le président Erdogan est venu demander pardon. Beaucoup sont prêts à lui accorder.

C’est le cas de Bayram, que franceinfo retrouve au marché cherchant des toiles imperméables pour protéger ses provisions. Il a eu la chance de sauver toute sa famille. "Si nous n’avions pas de leader, nous n’aurions rien, estime ainsi Bayram. Bien que l’on ait tardé trois jours, au bout du troisième jour, notre gouvernement a tout fait pour nous aider. Et ils continuent. C’est pourquoi je le pardonne." "J’espère que notre président entendra ce que je dis et continuera de nous aider, qu’il empêchera que pire se produise, poursuit-il. Je souhaite qu’il fasse de bons projets pour les gens qui n’ont plus de maison. On y croit, on croit en lui."

Bayram reconnaît que certains de ses amis ont changé de camp et ne donneront pas leur voix au président. Mais le pourcentage est difficile à estimer.

Ufuk, ingénieur topographe de la chambre des architectes (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)

Ufuk Bayir est ingénieur topographe à Adiyaman. Et il n'est pas très optimiste. Il nous a donné rendez-vous dans le centre-ville devant l’horloge d’Adiyaman, devenue un symbole : elle s'est arrêtée à 4h17, l'heure où la terre a tremblé, ce 6 février 2023. 

"On oublie tout très vite chez nous, et in oubliera très vite cette catastrophe aussi. Et comme on est arriérés et que l’on rattache tout à la croyance et au destin, je pense que Tayyip Erdogan aura le résultat qu’il espère à Adiyaman."

Ufuk

à franceinfo

Le séisme ne changera peut-être donc pas les mentalités dans cette place forte de l’AKP. Mais le pays votera-t-il une fois de plus pour Erdogan ? Les jeux restent ouverts. Ce qui est sûr, c’est que si l’opposition veut l’emporter elle devra convaincre, au-delà de la justesse de ses critiques, de sa capacité à rebâtir ces provinces, à reconstruire sans tomber dans les errements du passé.

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