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Témoignages
"C'est un cauchemar, on ne sort plus !" : le calvaire des habitants privés d'ascenseurs
La crise sanitaire a mis en lumière plusieurs difficultés dans les quartiers populaires, notamment la durée de réparation des ascenseurs défectueux. Durée qui s'étire désormais sur plusieurs semaines, ce qui oblige les habitants à s'organiser. Comme Karim, qui vit dans une petite résidence de Neuilly-sur-Marne, en Seine-Saint-Denis.
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Devant les portes closes de son ascenseur, il appuie en vain sur le bouton d'appel. "Rien ne se passe", lâche-t-il avec dépit. Depuis deux mois, ce père de famille grimpe plusieurs fois par jour six étages. Il est déjà tombé avec ses enfants dans les bras. Il s'est aussi blessé à la cheville, qu'on entend régulièrement craquer dans les escaliers. "Elle craque à chaque marche", confirme-t-il. Faire les courses, sortir les poubelles… Tout devient presque un calvaire. "C'est un cauchemar, on ne sort plus ! Chaque sortie, c'est un calcul", explique Karim.
"On se sent coupé du monde parce qu'on l'est réellement en fait. On ne peut plus faire les choses nécessaires qu'on faisait avant, comme tout simplement emmener ses enfants à l'école ou aller à des rendez-vous, ou aller voir des amis ou aller boire un coup… Rien."
Karim, habitant de Neuilly-sur-Marneà franceinfo
Des problèmes mécaniques
Situation identique plus loin dans le département voisin, le Val-de-Marne. Dans la cité d'Ivry-Sur-Seine où vivent Audrey et son mari Jacky, l'ascenseur fonctionne entre les 14 étages, mais ils l'empruntent la boule au ventre. "Parfois, ils ont arrêté l'ascenseur parce qu'il y avait des défauts sur les freins", explique Jacky. "On devait aller au 4e étage et on est monté jusqu'au 13e. Effectivement, la cabine est redescendue très vite. Ça fait un petit peu peur", complète son épouse.
Au 14e étage du bâtiment résidentiel, Zahia en a des sueurs froides. Elle termine parfois les dernières marches à quatre pattes quand l'ascenseur est en rade. "On est tout le temps en panne, tout le temps", se lamente cette femme de 75 ans. Parfois, elle reste bloquée plusieurs jours d'affilée. "Jusqu'à une semaine, la porte fermée", confirme-t-elle.
"Je ne peux pas sortir ! J'attends les voisines qui me disent 'oui aujourd'hui, il y a l'ascenseur'. Alors je descends en courant pour acheter, faire les courses, et je reviens aussi en courant."
Zahia, habitante d'une cité d'Ivry-sur-Seineà franceinfo
À plus de 70 ans, Zahia redoute de rester bloquer entre deux étages. "Si je suis dedans et que ça se bloque, je vais mourir. C'est vrai : souvent, l'ascenseur reste bloqué avec les gens dedans !", raconte la septuagénaire. "On a l'impression d'être des locataires de seconde zone", souffle l'une de ses voisines croisée quelques étages en dessous.
Cette situation s'aggrave selon les résidents de ces quartiers. "L'ascenseur, c'est comme le métro parisien. On est comme des sardines quand il n'y en a qu'un qui marche", s'emporte Dalila, rencontrée au pied d'une autre tour gardée par des dealers. "Moi, je suis dans cet immeuble depuis 12 ans. Depuis le début, il y a toujours eu un petit peu des problèmes, mais ça s'est aggravé depuis cinq ans. Il y a une personne handicapée, au 14e étage, en fauteuil roulant : elle ne descend plus. C'est la galère, tous les week-ends, il est cassé. Tous les week-ends !", ajoute-t-elle.
Un parc d'ascenseurs vieillissant
Pour expliquer ces pannes à répétition, et surtout qui durent dans le temps, la Fédération des Ascenseurs avance le rallongement des délais d'approvisionnement en pièces électroniques. Autre problème : le manque de bras. Une campagne va être lancée sur TikTok pour attirer les jeunes vers le métier de technicien. Et il y a urgence pour Micael Vaz du collectif "Plus sans ascenseur" car les cités vieillissent. "Vous avez aussi le parc vieillissant d'ascenseurs que vous avez dans des copropriétés qui datent de 20, 30, 40, 50 ans… Donc il va y avoir une vraie problématique dans les années à venir et c'est pour ça que nous on est là. Pour anticiper cette colère qui va monter très rapidement et on est là pour rappeler au bailleur son devoir, au ascensoriste son devoir et saisir le politique", renchérit Micael Vaz.
Sénateurs et députés planchent sur une loi
En attendant, les habitants s'organisent. Il y a évidemment la solidarité : l'adolescent du 6e qui monte les courses du vieux monsieur du 4e par exemple. Mais il y a surtout le collectif "Plus sans ascenseur", le seul qui existe, depuis 2016, et qui en fait un sujet politique, dans le sens noble du terme. Fouad Ben Ahmed en est le créateur. "Je me suis focalisé sur une injustice à combattre. Je me suis dit, c'est bizarre parce que c'est vrai que les pannes d'ascenseur ça fait 30 ans et personne ne s'est posé la question", se rappelle-t-il.
"Les gens étaient résignés parce qu'on a laissé penser que c'était de notre faute. Et c'est vrai que le jour où j'ai tourné la tête et je me suis dit 'Mais pourquoi ?'. Effectivement, ça a éveillé beaucoup, beaucoup, beaucoup, de consciences."
Fouad Ben Ahmed, fondateur du collectif Plus sans ascenseurà franceinfo
"C'est clair que les habitants maintenant se saisissent de cette question. Ils n'ont pas les outils, donc les habitants se mobilisent, le collectif 'Plus sans ascenseur leur donne les outils pour pouvoir travailler et ensuite, ils font valoir leurs droits", détaille Fouad Ben Ahmed. Lui développe, grâce au bailleur Hauts-de-Seine Habitat et à la région Île-de-France, la chaise Vertimove. Il s'agit d'un monte-personne électrique qui permet de sortir les personnes les plus en détresse de l'isolement. Une solution qu'il veut généraliser avec une clause obligatoire dans les nouveaux contrats des ascensoristes, mais pour cela, il faut une loi. Des sénateurs travaillent avec lui et des députés de la Nupes comptent, en ce début d'année, s'emparer du sujet.
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