Témoignages
"Découvrir de nouveaux marchés" ou "bloquer Bruxelles" ? Les divisions du monde agricole sur le projet de traité avec le Mercosur

Le monde politique et les acteurs agricoles français sont mobilisés contre à la signature d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du Mercosur. Mais tous les agriculteurs ne sont opposés à cet accord.
Article rédigé par Edouard Marguier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des vignes à Galgon en Gironde. (EDOUARD MARGUIER / RADIO FRANCE)

La potentielle signature entre l'Union européenne et le Mercosur, composé de cinq pays d'Amérique du Sud dont le Brésil et l'Argentine, réveille la colère dans le monde rural. Tous les syndicats agricoles sont contre et appellent à manifester à partir du lundi 18 novembre contre la concurrence déloyale. Mais la réalité est plus nuancée car certains agriculteurs sont pour notamment les viticulteurs.

Des viticulteurs qui viennent de terminer les vendanges dans le Bordelais dans les vignes de Stéphane Gabart, à Galgon, en Gironde. Les vins de Bordeaux font partie des 65 produits français protégés - comme les vins de Bourgogne ou du Beaujolais, certains spiriteux, des fromages (Comté, camembert de Normandie, bleu d’Auvergne...), des viandes (canard à foie gras du Sud-Ouest, bœuf de Charolles) ou encore les pruneaux d'Agen ou le riz de Camargue... - par le projet de traité avec le Mercosur.

Et c'est tant mieux, car la filière viticole est en crise. "Ça fait bientôt 60 ans que la consommation moyenne des Français baisse et les perspectives sont encore sur une continuité de cette baisse. Donc, si on veut continuer à commercialiser nos vins, ce sera à l'étranger", explique Stéphane Gabart.

"Notre planche de salut pour continuer à survivre"

Il y a 55% des bouteilles qui partent à l'export, mais la Chine achète moins depuis le Covid d'où l'importance de trouver des nouveaux débouchés insiste e vigneron qui préside également le syndicat des AOC Bordeaux et Bordeaux supérieur. "L'ensemble des appellations de Bordeaux représente 2% à 2,5% de la production mondiale de vin. Donc, il faut qu'on soit conquérant. Il faut qu'on puisse découvrir de nouveaux marchés, être présents sur ces nouveaux marchés. C'est sûrement notre planche de salut pour continuer à survivre", selon lui.

Le viticulteur Stéphane Gabart à Galgon en Gironde. (EDOUARD MARGUIER / RADIO FRANCE)

Le débat actuel lui rappelle celui sur le Ceta il y a sept ans, l'accord de libre-échange avec le Canada. Le traité lui a permis de consolider ce marché canadien. "Personnellement, ça reste pratiquement mon troisième marché à l'exportation, indique Stéphane Gabart. Donc ce sont des marchés importants. Sans ces accords - on le voit bien, ce qui s'est passé avec la Chine sur les dix dernières années - dès qu'il y a des hausses de taxes douanières, les marchés se ferment."

"Parfois, en évitant un accord de libre-échange, on peut aussi se fermer le marché ou avantager d'autres pays producteurs au détriment de votre pays."

Stéphane Gabart, viticulteur

à franceinfo

Il craint de voir la Chine profiter des hésitations européennes. Les Chinois sont déjà les premiers exportateurs dans les pays du Mercosur devant l'UE et Xi Jinping a prévu de prolonger son séjour au Brésil après le G20 pour intensifier les partenariats.

"On ne crèvera pas la gueule ouverte"

La grande majorité des agriculteurs restent cependant opposés à cet accord, et pas besoin de faire des milliers de kilomètres pour trouver des opposants. Trois cents kilomètres plus au sud, nous voici au milieu des vaches de Jérôme Bayle à Montesquieu-Volvestre en Haute-Garonne. Il est une figure de la contestation agricole en janvier 2024 avec le blocage de l'A64 à hauteur de Carbonne.

Cette fois, il veut lutter contre le Mercosur. "Aujourd'hui, on est prêt à importer 99 000 tonnes de bœuf aux hormones alors que c'est interdit en France depuis les années 1990, dénonce Jérôme Bayle. Aujourd'hui, on est obligé de respecter un nombre minimum d'animaux dans une parcelle. Là-bas, ils sont 30 000 animaux sur 10 000 m2. C'est de l'élevage industriel et c'est ce que les Français ne veulent pas qu'on produise en France. Le panier de viande moyen en France, toutes viandes confondues, on est à 13 euros. Il va arriver de la viande du Brésil à 4,80 euros."

"Il y aura des répercussions sur la santé, puisqu'en France, on nous a fait interdire les hormones parce que ça avait des effets graves sur la santé. C'est ça qu'on n'acceptera pas."

Jérôme Bayle, éleveur

à franceinfo

Les 400 membres de son collectif des Ultras de l'A64, asyndical et apolitique, sont prêts à reprendre les actions mais ne suivra pas l'appel de lundi. "Et si après avoir bloqué une autoroute, on bloquait Bruxelles, lance l'éleveur. De toute façon, on l'a dit, on ne crèvera pas la gueule ouverte. Il faut qu'on défende notre agriculture française mais qu'on la défende clairement."

Devenu porte-voix des agriculteurs, il a prévu de venir à Paris dans dix jours pour rencontrer notamment la ministre de l'Agriculture.

L'éleveur Jérôme Bayle à Montesquieu-Volvestre en Haute-Garonne. (EDOUARD MARGUIER / RADIO FRANCE)

La commission promet des contrôles

De son côté, la commission européenne se veut rassurante notamment sur le volet agricole de l'accord. C'est très limité nous dit-on à Bruxelles, Jérôme Bayle rappelle à juste titre que le traité prévoit d'enlever les droits de douane sur 99 000 tonnes de viande bovine sud-américaine. Cela représente 1,6% de la production totale de l'Union européenne chaque année. Les 180 000 tonnes pour les volailles représentent 1,4%  et les 25 000 tonnes de porcs 0,1%. L'accord comprend de toute façon une clause de sauvegarde. Cela signifie que si le marché est déstabilisé, les importations pourront s'arrêter. 

Sur l'importation de viande aux hormones, la commission veut tordre le cou à ce qui est dit en France par les syndicats agricoles et même par le gouvernement. Il sera toujours interdit d'importer en Europe de la viande aux hormones ou des céréales OGM. Les produits doivent respecter les normes alimentaires européennes. La commission promet des contrôles aux frontières et des contrôles vétérinaires sur place en Amérique du Sud par des fonctionnaires européens. Avec une limite toutefois : il sera impossible d'être derrière chaque producteur au Brésil ou encore en Argentine.

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