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Témoignages
Face à l'intelligence artificielle, le cinéma français encore dans le flou

Le gouvernement a décidé de consacrer un comité stratégique à l'intelligence artificielle. Un sujet d'inquiétude qui gagne plusieurs secteurs, comme le 7e art.
Article rédigé par franceinfo, Matteu Maestracci
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Illustration d'une salle de cinéma. (FR?D?RIC LECOCQ / MAXPPP)

Le sujet revient souvent dans les conversations du secteur du cinéma, d'autant que les possibilités techniques de l'intelligence artificielle gagnent chaque jour en précision et en réalisme. L'IA était d'ailleurs au cœur de la grève qui a longuement paralysé Hollywood ces derniers mois. Mais qu'en dit le milieu du cinéma français ? Pour l'instant, comme face à une sorte de virus inconnu ou de menace diffuse, le monde du cinéma est dans le flou. Mais le secteur continue de penser qu'il faudra toujours un humain auprès de la machine, pour la corriger ou lui donner son inspiration.

Pour le réalisateur Cédric Klapisch, l'IA ne ferait que copier mais pas inventer. "Ce que je trouve intéressant, et ce n’est pas forcément que négatif, c'est que ça met l'accent sur le fait que ce qu'un algorithme peut créer n'est pas ce que nous, on appelle la création. Vous ne pouvez pas inventer un film d'Almodovar, vous ne pouvez pas inventer un film de Godard. Un algorithme ne peut pas le faire", tranche le cinéaste. 

"Quand on parle du cinéma d'auteur, et de sa poésie, justement un ordinateur ne peut pas créer de la poésie, c'est quelque chose de profondément humain. Ce qui nous intéresse dans la création, c'est le regard subjectif d'un réalisateur ou d'une réalisatrice."

Cédric Klapisch, réalisateur

à franceinfo

Si on a vu apparaître en ligne ces derniers mois de fausses bandes-annonces créées par une IA, comme ce Star Wars version Wes Anderson , aucun moyen-métrage ou long-métrage sur le même modèle n'a encore vu le jour.

Un "ping-pong" qui renvoie ce qu'on lui donne

Les scénaristes sont particulièrement exposés aux risques représentés par l'intelligence artificielle. Ce sont eux d'ailleurs, inquiets pour leur statut, qui ont lancé la grève aux États-Unis. Et leurs homologues français partagent les mêmes interrogations, non sans un peu d'ironie. Fadette Drouard, qui a notamment coécrit récemment le film La Syndicaliste avec Isabelle Huppert, s'est amusée à demander au fameux logiciel ChatGPT de lui écrire un scénario. "Je lui ai donné le synopsis d'un film que j'étais en train d'écrire, une vingtaine ou trentaine de lignes environ, en lui disant 'développe-moi quelque chose à partir de ça', en intervenant pour corriger quelques aspects, lui demandant aussi de rajouter de la dramatisation ou des rebondissements. Et c'était catastrophique, se souvient-il. Sur le fond, des personnages que j'avais pourtant caractérisés, n'étaient pas cohérents. Ils passaient par des phases et des situations tellement clichées !"'

"C'est ça aussi ChatGPT, ça ne fait qu'agglomérer des choses qu'on a déjà vues et entendues."

Fadette Drouard, scénariste

à franceinfo

Fadette Drouard ne veut pas interdire ou bannir l'IA par principe, mais pour le moment elle en voit surtout les limites. Elle l'utilise comme une sorte de "ping-pong" qui ne fait que renvoyer ce qu'on lui donne.

La scénariste Fadette Drouard, le 2 octobre 2023 à Paris. (MATTEU MAESTRACCI/ FRANCEINFO/ RADIOFRANCE)

"Un exosquelette pour notre cerveau"

Mais il existe aussi des corps de métier pour qui l'intelligence artificielle est une bonne chose, et un outil précieux voire révolutionnaire. C'est le cas dans les domaines techniques qui utilisent déjà l'IA pour accomplir un certain nombre de tâches, comme chez Mac Guff, un studio de création d'effets visuels basé à Paris spécialisé dans les visages. Son président Rodolphe Chabrier compare même les possibilités offertes par l'IA à l'arrivée du numérique dans les années 1990 : "Elle fait bien plus que finir le travail ou nous faire gagner du temps, même si elle le fait aussi. Elle ouvre de nouvelles portes, mais ne travaille pas à notre place. L'intelligence artificielle n'est qu'un exosquelette à notre pensée, pour notre cerveau. Elle nous rend plus intelligents, elle nous permet de faire des tâches plus intelligentes qui nous prendraient normalement des dizaines de semaines, de mois, voire d'années pour y arriver."

"Je crois qu'il y a une peur plus enfouie au fond des gens, qui est liée à l'ego. On aime se dire que l'homme est le seul animal qui rit, qui pense, qui est créatif. Mais l'IA peut le faire aussi, même si pour le moment elle est seulement là pour nous aider."

Rodolphe Chabrier

à franceinfo

Martial Vallanchon et Rodolphe Chabrier, co-fondateurs du studio Mac Guff, le 2 octobre 2023 à Paris. (MATTEU MAESTRACCI/ FRANCEINFO/ RADIOFRANCE)

Et si aucun "vrai" acteur n'a pour l'instant été remplacé par son avatar virtuel, les choses vont très vite. Rodolphe Chabrier estime que ces changements se font dans une sorte de zone grise juridique. Il plaide pour une protection législative, notamment sur les droits d'auteur, pour que personne ne voit son texte ou son visage utilisés sans son accord. Même sentiment chez Fadette Drouard : "Pour l'instant, je suis optimiste, et le flou porte surtout sur ce que ces outils vont devenir et déployer comme possibilités. On va utiliser les grands mots, mais est-ce qu'un jour l'IA aura sa propre conscience ? Et moi ce que je lis dans l'accord trouvé aux États-Unis, c'est que les scénaristes se sont beaucoup protégés, c'est vrai, mais ils partaient de beaucoup plus loin que nous au niveau de leur système de protection des auteurs. Donc nous, il faut qu'on fasse ce pas-là avant que ça nous rattrape."

Dans l'accord signé fin septembre à Hollywood, il est précisé que personne ne peut se faire imposer un film écrit ou conçu par une IA, mais que le scénariste peut s'en aider si le studio est d'accord. Ce qui ne ferme donc pas complètement la porte à l'intelligence artificielle.

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