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Témoignages
Intelligence artificielle : "triche" pour certains, "ressource" pour d'autres, l'utilisation de ChatGPT fait débat entre étudiants et enseignants à l'université

Deux mois à peine après son lancement, ChatGPT fait beaucoup parler. Cette intelligence artificielle, sorte de robot accessible en ligne, répond à la plupart des questions. A tel point qu'elle peut même écrire une dissertation correcte, de quoi faire naître un certain intérêt chez les étudiants.
Article rédigé par Thomas Giraudeau
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une capture d'écran du site ChatGPT. (PIERRE TEYSSOT / MAXPPP)

Même si la majorité des étudiants avec qui franceinfo a discuté ne connaissent pas l’existence de ChatGPT, certains ont adopté l’intelligence artificielle pour réaliser des travaux chez eux. "Je l'ai déjà utilisé. C'était pour notre projet informatique", témoigne Axel, en cursus économie-gestion à l'université de Saint-Quentin-en-Yvelines. "On devait utiliser une base de données avec plusieurs caractéristiques comme la population dans plusieurs villes ou le niveau des nappes phréatiques et trouver une problématique autour de cela. J'ai demandé à ChatGPT s'il pouvait m'en faire une." En quelques secondes, l'intelligence artificielle lui fait plusieurs propositions. 

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Créée par une société américaine dans laquelle Microsoft vient d’investir plusieurs milliards de dollars, la technologie a ingéré et digéré des centaines de milliers de pages web, avant de les ressortir selon la question posée. "Dans notre utilisation, ça a plutôt été une aide", estime Yanis qui refuse de parler de triche, "elle a été là pour nous guider". A ses côtés, Axel appuie la démonstration : "ça n'a pas fait tout le devoir, on n’a pas eu trop l'occasion de l'utiliser à l'exception de cet exercice. Mais elle nous a fait gagner un peu de temps".

Un "copier-coller" très risqué

D'autres étudiants assurent qu'ils ne s'en servent que pour réviser, avant leurs examens. "Certaines notions sont plus claires expliquées par ChatGPT que par mon professeur", ironise par exemple Adrien. La technologie permet aussi de "vérifier que je n'avais rien oublié", explique Thomas, étudiant en Master d'histoire, "souvent, on part sur notre problématique et on peut passer à côté de choses élémentaires."

Pourtant, d'autres n'hésitent pas à avouer une autre utilisation... "On peut considérer que c'est de la triche. Oui, c'est abusé", témoigne Jean, étudiant de La Rochelle. "En ce moment, on a beaucoup de comptes-rendus à rendre. Et toutes mes introductions de compte-rendu, je les fais sur ChatGPT. Alors, oui, il m'écrit des textes entiers. Mais je ne peux pas les reproduire tel quel." Les réponses de ChatGPT sont, en effet, structurées, cohérentes, mais très simples et plutôt facilement identifiables. Il faut donc reformuler le texte pour limiter les risques de se faire attraper. 

"ChatGPT a tendance à beaucoup répéter le sujet dans les phrases, il faut le remplacer par le pronom il ou elle régulièrement."

Jean, étudiant de La Rochelle

à franceinfo 

D'après Jean, les étudiants sont nombreux à l'utiliser dans sa promotion. "On l'assume même, on ouvre ChatGPT sur nos ordinateurs en cours de programmation. On l’a montré à notre enseignant qui trouve la technologie intéressante. Elle écrit des lignes de code beaucoup plus vite que si on allait les chercher sur Google !". 

Des universités dotées de logiciels anti-plagiat

Les enseignants ne sont pas vraiment inquiets de l'arrivée de cette technologie. Sure de pouvoir détecter sur sa copie si un étudiant a triché, Marta Severo, professeur de communication et vice-présidente chargée du numérique à l'université Paris Nanterre, affirme pouvoir "voir les mêmes structures argumentatives dans plusieurs copies d’étudiants. Et on connaît nos étudiants. Si d’un coup, le niveau de langage ne correspond pas à ce qu’on a l’habitude de lire de lui, on va se douter de quelque chose". Elle précise également que les universités se sont toutes dotées de logiciels anti-plagiat.

Marta Severo, professeur de communication et vice-présidente chargée du numérique à l'université Paris Nanterre. (THOMAS GIRAUDEAU / FRANCEINFO)

Pour la chercheuse, l’arrivée de ChatGPT lui rappelle celle de Wikipedia, il y a vingt ans : "on pensait que c’était un danger, que tous les étudiants allaient pomper sur l’encyclopédie en ligne. Finalement, c’est devenu un outil, une ressource". En revanche, l’utilisation de l’intelligence artificielle par les étudiants impose de revoir les travaux qui leur sont donnés : "Je les ai testés avec cet outil, et j'aurai dû donner un 17 à ce qu'a sorti ChatGPT. Je l'ai pris d'un côté positif en me disant qu'il fallait que je retravaille mes sujets, proposer des tableaux par exemple. Le robot a du mal avec ce format-là."

Pour Marta Severo, "on touche aussi rapidement aux limites de l'outil quand on va sur des questions plus complexes". Si un étudiant peut s'aider de l'intelligence artificielle chez lui, il sera toujours seul devant sa copie lors des examens, poursuit la professeure. Certains enseignants ont même décidé d'intégrer ChatGPT dans leurs cours.

"C'est totalement illusoire de vouloir aller contre et de l’interdire. Il faut imaginer comment surfer la vague plutôt que de se faire emporter par elle."

Jean-Philippe Denis, enseignant à l'université Paris-Saclay

à franceinfo

"Lors d'un cours en troisième année de licence, on a demandé à ChatGPT : fais-nous une séance d'introduction sur la structure et la gouvernance. Et le résultat était excellent", se félicite Jean-Philippe Denis, enseignant en sciences de gestion à l'université Paris Saclay. Il dit avoir été "sidéré par la puissance de l’intelligence artificielle, et j'y ai tout de suite vu un grand intérêt. ChatGPT faisait le travail à ma place, parfois un peu fastidieux, de définition des notions. J’ai dit aux étudiants que tout ce qu'on allait voir dans le cours, c'est ce qu'il ne vous dit pas". L'enseignant relativise aussi l'apport pédagogique de ce nouvel outil : "tant que l'intelligence artificielle n'a pas été nourrie avec mon cours, elle ne peut pas répondre comme je le ferais. Peut-être qu’un jour, cela arrivera, mais pour l’instant, ce n’est pas le cas".

Un tri à faire entre le vrai et le faux

ChatGPT se nourrit des cours et du savoir disponible en ligne, maiss il ne fait pas le tri entre le vrai et le faux, c'est l'un de ses principaux problèmes. Parmi les centaines de milliers de pages web qu'il a avalés, il y a forcément des fausses informations et des théories du complot.

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Pourtant, "des tas de gens ont produit des données pour contraindre ChatGPT de ne pas parler de choses antisémites ou de pédophilie", rassure Djamé Seddah, chercheur à l'Inria (Institut de recherche en sciences du numérique). "Ils ont produit des anti-exemples afin de le forcer à éviter ce type de production-là, par exemple la théorie du complot qui dit qu'on n’est jamais allé sur la Lune. Il suffit de créer des contre-exemples qui vont identifier grosso modo les chemins qui mènent à cette conclusion, pour les éviter. Et on va entraîner le modèle à ne pas aller vers ces choix."

Djamé Seddah, chercheur à l'Inria. (THOMAS GIRAUDEAU / FRANCEINFO)

Lancé il y a à peine deux mois, ChatGPT est toujours en phase d'entraînement. Ce n'est pas un produit fini et "l'outil est loin d'être infaillible", reconnaît Djamé Seddah; qui met en garde : "Pour l'instant, on ne peut pas faire confiance en cette technologie. A nous d’éduquer les élèves et les étudiants à s’en servir correctement". Concernant les potentialités de triche à l’aide de ChatGPT, Djamé Seddah tempère les espoirs potentiels. Les développeurs sont en train de réfléchir à intégrer dans le code informatique, indétectable pour la plupart des utilisateurs, une signature, visible ensuite par les logiciels anti-plagiat.

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