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Témoignages
Qui sont ces bouquinistes qui s'opposent à la préfecture de Paris et refusent de quitter les quais pour les JO 2024 ?

La mairie veut les éloigner de la Seine pour des raisons de sécurité mais hors de question pour les bouquinistes parisiens de plier bagage. Le métier, séculaire, fait toujours naître de nombreuses vocations.
Article rédigé par Benjamin Illy
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Bouquiniste sur les quais de Seine, Paris. (CAPTURE D'ÉCRAN FRANCE 2)

Les bouquinistes et Paris, c'est une histoire d'amour à la Verlaine. Ça commence avec tendresse et désir mais ça pourrait bien mal finir... Un bras de fer est engagé depuis plusieurs mois. D'un côté, la préfecture de police et la mairie leur somment de quitter les quais de Seine temporairement, pour raisons de sécurité, pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 2024. De l'autre, des passionnés, présents depuis pas moins de 450 ans, et qui ne comptent pas bouger d'un pouce. 

Sur les quais, on ne parle pas de " stands", mais de " boîtes", vertes, qui ont vu défiler du monde : " certaines ont 120 ans facile", s'enorgueillit Sylvie Mathias. Elle, est deux fois plus jeune, 61 ans, et bouquiniste depuis 25 ans sur le quai des Grands-Augustins " On est 220 bouquinistes et on gère 900 boîtes. La Seine est entourée de kilomètres de livres !", résume joyeusement la vendeuse.

Un quotidien entre passion, bruit et auto-entrepreneuriat

Elle explique que chacun a l'obligation d'avoir trois boîtes de livres et une autre boîte "où l'on peut mettre de la petite brocante et des objets pour les touristes. La mairie est censée veiller aux débordements." Sylvie Mathias est également trésorière de l’Association culturelle des bouquinistes de Paris " On peut gagner honorablement notre vie, à peu près le smic. Mais il y a des périodes où ça peut être beaucoup moins", confie la trésorière. "Les bouquinistes sont autoentrepreneurs et il ne vaut mieux pas tomber malade."

Sylvie Mathias bouquiniste à Paris entrain d'ouvrir sa boîte. (BENJAMIN ILLY/RADIOFRANCE)

Le cadre de travail, lui non plus, n'est pas de tout repos : ça grouille sur les quais de Paris.   "C'est fatigant ! Le soir en rentrant j'ai besoin d'une bonne demi-heure de silence. Et en ce qui concerne la pollution, je n'en sais rien. J'ai encore des poumons en bon état, on verra bien !" lance Sylvie Mathias. 

"Il y a une âme qui se dégage grâce aux bouquinistes, même lorsque les boîtes sont fermées"

Sylvie Mathias

à franceinfo

Preuve en tout cas, que l'âme des bouquinistes perdure, cette année la mairie de Paris a reçu 42 candidatures pour 17 emplacements vacants. Parmi les petits nouveaux, il y a Laurent Bussière, 47 ans, bouquiniste depuis le mois d’août : "J'aimais les livres et puis la liberté, aussi de ce métier, dans une époque où l'on parle beaucoup de mal-être au travail. J'ai travaillé dans un bureau pendant quelques années et j'ai toujours trouvé ça malsain de travailler assis toute la journée."

Enlever les boîtes, c'est démotiver les candidats

Passionné oui, mais pas pour autant candide. Laurent Bussière estime que la relève n'est forcément assurée : "Ce qui va se passer l'année prochaine pour les Jeux olympiques, c'est une épée de Damoclès au-dessus de nous. L'enlèvement des boîtes pourrait démoraliser des futurs candidats et mettre à la préretraite beaucoup de bouquinistes qui sont âgés et qui ne se voient pas vider leurs boîtes, pour les remettre six mois après."

D'autant que les dépenses sont parfois conséquentes : " On ne paye pas l'emplacement, en revanche les boîtes sont à notre charge. Ça représente entre quelques milliers d'euros et beaucoup plus."

"On n'est peut-être pas comme les pandas, les derniers d'une espèce en voie de disparition, mais il faut faire attention aux bouquinistes !"

Laurent Bussière

à franceinfo

Lui, se voit bouquiniste encore un bon bout de temps : "Je ne sais pas trop ce que signifie la retraite, pour nous, à part l'arthrite !", lance-t-il avec humour.

Un peu plus loin, rencontre avec "la pipelette du quartier", Anouchka, bientôt 80 ans, les cheveux gris et aucune arthrite, ni retraite, à l'horizon. Elle est bouquiniste quai des Grands Augustins depuis 1972. "Je suis l’une des plus anciennes. Moi aussi je pourrais être classée au Patrimoine Mondial de l'Unesco !", plaisante la dynamique octogénaire. Depuis 2019, les bouquinistes sont inscrits au patrimoine culturel immatériel de la France. Mais l’Association Culturelle des Bouquinistes vise l'international : "Comme ça, on serait vraiment immuables", explique  Anouchka.

Anouchka, 80 ans, bouquiniste à Paris depuis 1972. (BENJAMIN ILLY/RADIOFRANCE)

Car, lorsque l'on évoque l'avenir de la profession, le sourire d'Anouchka s'efface brièvement : "C'est sombre. Avant on avait une clientèle régulière, ce n'est plus le cas. C'est à cause d'internet, d'Amazon", accuse-t-elle. "Et puis les gens sont cul-de-jatte, ils ne se déplacent plus !", poursuit-elle de son franc-parler. Quand ont lui demande un conseil pour les jeunes candidats, il est tout trouvé : "On peut tous être un bon bouquiniste, assure-t-elle, avant d'ajouter avec malice : Sauf celui qui fait la gueule !" 

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