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Blasphème, caricature : quelles sont les limites et les interdictions en Israël, en Égypte et au Japon ?

Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir tout ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Ce mercredi, le droit au blasphème et à la caricature, après l'assassinat en France d'un professeur d'histoire-géographie qui avait montré des caricatures de Mahomet à ses élèves en cours.

Article rédigé par franceinfo - Frédéric Métézeau, Karyn Nishimura et Martin Roux, édités par Ludovic Pauchant
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min

Manifestations à Alexandrie, en Egypte, le 3 février 2006, après la publication de caricatures du prophète Mahomet au Danemark.
 (ABDELHAK SENNA / AFP)

La liberté d'expression est une notion protéiforme, un concept qui prend des atours bien différents selon les pays. En France, elle comprend le droit à la caricature, remis en question violemment récemment lors de l'assassinat de Samuel Paty, ce professeur d'histoire-géographie qui avait montré des caricatures de Mahomet à ses élèves en cours. À l'étranger, le droit à la caricature et encore plus le droit au blasphème sont relatifs, voire censurés ou strictement encadrés.

En Israël, on peut tout caricaturer... sauf le religieux

En Israël, la liberté de culte est garantie mais la laïcité à la française n'existe pas. Ainsi, par exemple, les mariages et les divorces sont exclusivement religieux. Il existe en Israël une grande tradition satirique : dans les journaux et à la télé, on se moque beaucoup des dirigeants politiques. Cela peut aller beaucoup plus loin qu'en France mais on ne touche pas à la religion. Dans le berceau des trois monothéismes, la proportion de croyants et de pratiquants est beaucoup plus élevée qu'en Europe : en Israël, les juifs ultra-orthodoxes ont des députés et des ministres influents, aussi la loi impose-t-elle de respecter les religions. Les dessinateurs israéliens, mêmes laïcs ou athées, n'entendent d'ailleurs pas aggraver le conflit israélo-palestinien et l'on ne caricature pas les prophètes, qu'il s'agisse de Mahomet, Moïse ou Jésus. Il y a deux ans un célèbre caricaturiste a été licencié du Jerusalem Post car il avait dessiné Netanyahou et ses proches en cochons, animal impur dans la religion juive.

Au Japon, la caricature ne fait pas bonne figure

Au Japon, pays du manga, la liberté d’expression est en théorie garantie, mais on ne peut pas tout dessiner en réalité. La caricature ne fait pas bonne figure : de nombreux sujets sont tabous quand il s’agit de satire. On ne peut ainsi par exemple pas dessiner l’empereur de façon irrévérencieuse. Par ailleurs, la société ne supporte pas le dessin humoristique sur les bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki ou sur l’accident nucléaire de Fukushima ou encore  sur la maladie. Il n’y a pas de Charlie Hebdo ici et l’état d’esprit Charlie n’y est pas compris. Même si les dessins de presse ont vocation à faire réfléchir, ils sont perçus comme une attaque, une discrimination, un manque de respect.

Paradoxalement, pourtant, au nom de la liberté d’expression, la loi du Japon n’interdit pas les discours de haine, ces diatribes xénophobes hurlées dans la rue par des extrémistes de droite. Dans ce contexte, là-bas, les professeurs des établissements scolaires français tiennent compte de ces différences culturelles mais leur mission est de former des esprits libres et critiques."Même s’il y a une législation différente au Japon, même s’il y a une législation différente dans le pays d’accueil, c’est un contrat qu’il y a entre nous, les parents, les élèves'', insiste Nicolas, professeur d’histoire géographie au lycée international français de Tokyo où se mêlent diverses nationalités.

Qu’ils soient Français, Franco-japonais, Japonais voire d’autres nationalités, ils sont ici pour recevoir aussi une formation à la citoyenneté et pas simplement une formation francophone. 

Nicolas, enseignant

à franceinfo

Comme le souligne un autre enseignant du lycée français de Tokyo, c’est justement sur ce genre de thèmes, la religion, la laïcité, que les débats avec les élèves sont les plus riches, les plus intéressants.

En Égypte, la loi anti-blasphème est un outil de répression

En Égyptepays conservateur où 90% de la population est musulmane, il est risqué pour les citoyens, voire passible de prison, de critiquer la religion. Une loi anti-blasphème existe dans le Code pénal et prévoit jusqu’à cinq années de détention. Si dès le début de son premier mandat, le président al-Sissi s’est pourtant fait le chantre d’un islam modéré, cette loi anti-blasphème est loin d’être remise en question. Bien au contraire, c’est un outil de répression, pour s’en prendre aux athées et faire taire les voix dissidentes de la société civile. 

Il faut savoir que l’armée égyptienne mène, dans le nord du Sinaï, une guerre à huis clos contre une branche locale de l’organisation État islamique : l’Égypte ne manque ainsi jamais de se présenter en rempart contre le terrorisme islamiste. Dès le lendemain de la décapitation de Samuel Paty, le ministère des affaires étrangères égyptien s’est dit solidaire de la France, pour combattre le terrorisme et l’extrémisme sous toutes ses formes. Cette position de l’Égypte lui vaut les bonnes grâces de ses alliés occidentaux. La France et les États-Unis en tête. Qui ferment les yeux sur les atteintes aux droits humains. 

En termes de politique intérieure, promouvoir un islam modéré est moyen de lutter contre l’influence des groupes salafistes et des Frères musulmans. Ainsi, l’État contrôle désormais les prêches dans les mosquées. Mais en matière de mœurs et de liberté de religion et d’expression, l’autoritarisme du régime s’appuie sur un discours religieux conservateur qui diffère très peu des mouvances qu’il prétend combattre.

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