Élections européennes : l'extrême droite se recompose, les stratégies allemandes et italiennes

Après le scrutin du 9 juin, les formations d'extrême droite cherchent des alliés à Bruxelles. L'AfD allemand a du mal à former un groupe. En Italie, au contraire, la formation de Giorgia Meloni se dit "incontournable".
Article rédigé par Nathalie Versieux, Olivier Tosseri
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Le Parlement européen à Strasbourg, en mars 2019. (CATHY DOGON / RADIOFRANCE)

L'un des enseignements des dernières élections européennes du 9 juin est la progression de l'extrême droite au Parlement européen. Alors qu'en France, le Rassemblement national est arrivé en tête avec 31,37% des voix, loin devant le parti de la majorité, des négociations entre les différentes formations d'extrême droite commencent à Bruxelles pour former des groupes parlementaires d'ici fin juin, le délai imparti par les institutions.

Le Club des correspondants part d'abord en Allemagne, où l'extrême droite de l'AfD a devancé les sociaux démocrates du SPD, avec 15,9% des suffrages, contre 13,9% pour la coalition d'Olaf Sholz, qui essuie son plus mauvais résultat à un scrutin national depuis 1949. Sauf que l'AfD est dans l'embarras, après l'échec des négociations mercredi 12 juin avec Marine le Pen, la porte-parole du groupe Identité et démocratie (ID) reste fermée à l'extrême droite allemande, jugée infréquentable. Puis nous irons en Italie où la formation d'extrême droite, Fratelli d'Italia est arrivée largement en tête, avec près de 29% des suffrages. Giorgia Meloni se sent en position de force pour peser à Bruxelles. Elle répond timidement aux appels à l'union entre son groupe des conservateurs et celui de l'extrême droite (ID), ne voulant pas fragiliser ses rapports avec le Parti Populaire européen (PPE, centre droit), qui reste la principale force politique du Parlement européen, après ce nouveau scrutin.

Allemagne : l'AfD pourrait aller vers des groupes plus radicaux

L'AfD, grand vainqueur des élections allemandes avec plus de voix que le SPD d'Olaf Scholz, et 15 sièges au Parlement européen, se cherche toujours un groupe parlementaire. Le parti d'extrême droite allemand a tenté mercredi de plaider sa cause à Bruxelles, lors d'une réunion avec Marine Le Pen, le chef de la Ligue italienne Matteo Salvini, le Néerlandais Geert Wilders et le chef du FPÖ autrichien Kickl. Kickl, qui devait servir d'intermédiaire, a plaidé la cause de l'AfD. Mais Marine Le Pen est restée intransigeante, selon des participants à cette réunion. En campagne pour les législatives, elle a refusé toute réintégration du parti allemand, jugé infréquentable parce que trop extrémiste, au sein du groupe parlementaire ID.

L'AfD est n'a d'autre choix que de se trouver d'autres partenaires. Officiellement, la direction du parti ne se laisse pas démonter. "Nous entrons très sûrs de nous et détendus dans la phase des négociations. Nous allons présenter nos exigences programmatiques et attendons de façon très détendue ce qui va se passer", explique Alice Weidel, la cheffe de l'AfD. Mais derrière cette assurance de façade, il y a une véritable inquiétude. Car il a beaucoup d'argent en jeu. Selon les calculs du magazine Der Spigel, l'AfD perdrait deux millions d'euros si elle ne parvenait pas à intégrer ou à former un groupe parlementaire d'ici fin juin, le délai imparti par les institutions européennes. Sans groupe parlementaire, les députés de l'AfD n'auraient pas droit à autant de fonds européens pour le fonctionnement de leurs bureaux que leurs collègues intégrés à une fraction.

Alice Weidel et son négociateur en chef René Aust téléphonent tous azimuts avec leurs "amis européens", comme ils disent. Ces amis pourraient être les autres partis d'extrême droite en voie de radicalisation comme l'AfD. La naissance d'un troisième groupe parlementaire autour de valeurs communes telles que l'ultra-nationalisme, des sympathies pro-russes et le scepticisme envers l'Europe est vraisemblable, selon les politologues. Par exemple avec les Bulgares de Renaissance, des députés polonais, des Lituaniens, Notre Patrie en Hongrie et l'extrême droite slovaque.

Italie : Giorgia Meloni a besoin de la tolérance de Bruxelles

La cheffe du gouvernement italien ne cesse de répéter qu'elle est désormais "incontournable". Alors que le scrutin européen a infligé aux partis d'Emmanuel Macron et d'Olaf Scholz une humiliation historique, sa formation d'extrême droite, Fratelli d'Italia est arrivée largement en tête, frôlant les 29% des suffrages. Giorgia Meloni est ainsi la seule dirigeante d'un des grands pays de l'Union européenne à sortir renforcée. "Je suis fière que notre nation se présente au G7, en Europe, avec le gouvernement le plus fort de tous", s'est-elle immédiatement félicitée. Si sa victoire conforte un peu plus la crédibilité gagnée au cours de ses vingt mois passés au pouvoir, c'est surtout de la débâcle d'Emmanuel Macron qui l'avantage. La faiblesse du président français, avec lequel elle n'entretenait qu'une entente de raison, lui offre une marge de manœuvre inédite.

Pendant la campagne électorale qui vient de s'achever, elle prônait à Bruxelles ce qu'elle a réussi à faire à Rome : une union de toutes les droites au Parlement de Strasbourg pour renvoyer la gauche dans l'opposition en excluant toute participation à une majorité avec les socialistes. Elle devra pourtant user du pragmatisme qui la caractérise en prenant acte que, malgré leur forte poussée, les différentes formations d'extrême droite ne peuvent renverser les équilibres du Parlement de Strasbourg. Giorgia Meloni ne s'opposera donc pas à une reconduction d'Ursula Von der Leyen à la tête de la Commission européenne. L'Italie ne peut se permettre d'être isolée. Elle a besoin de la tolérance de Bruxelles s'agissant de son plan national de relance, du nouveau pacte de stabilité budgétaire ou encore de politique migratoire. Giorgia Meloni veut surtout un portefeuille important dans la prochaine Commission, celui de l'Agriculture, de l'Industrie, de la Défense ou encore de l'Énergie par exemple.

Giorgia Meloni répond ainsi timidement aux appels à l'union entre son groupe des conservateurs ECR et celui Identité et Démocratie dans lequel siègent les eurodéputés de Marine Le Pen. Quel que soit le prochain locataire de Matignon, c'est toujours avec Emmanuel Macron qu'elle devra traiter lors des grands sommets européens. Elle ne veut surtout pas fragiliser ses rapports avec le Parti Populaire Européen alors que son vice-premier ministre Antonio Tajani exclut catégoriquement toute alliance, aussi bien avec les Allemands de l'AfD qu'avec les Français du Rassemblement national.

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