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La crise diplomatique entre l'Inde et le Canada se poursuit

Tous les jours, le club des correspondants décrit comment un même fait d'actualité s'illustre dans d'autres pays.
Article rédigé par Pascale Guéricolas, Sébastien Farcis
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le premier ministre canadien Justin Trudeau et son homologue indien Narendra Modi pendant un sommet du G20 le 9 septembre 2023. (EVAN VUCCI / POOL / AFP)

Les révélations du Canada sur la possible implication des services secrets indiens dans l’assassinat d’un Canadien d’origine sikh à Vancouver créent, depuis quelques jours, une véritable onde de choc entre les deux pays. Hardeep Singh Nijjar, le dirigeant d’un temple sikh, a été assassiné en juin 2023. Expulsion d’un diplomate côté canadien, blocage des visas côté indien, la tension monte entre Ottawa et New Delhi.

L'Inde demandait l'extradition de Hardeep Singh Nijjar

L’inde dément fermement les accusations du Canada et a répliqué par de fortes mesures de rétorsion. La première mesure a été d’interrompre, jeudi 21 septembre, le traitement de tout nouveau visa pour les Canadiens, jusqu’à nouvel ordre. Le tourisme ou les affaires vers l’Inde sont ainsi suspendus. La deuxième mesure est de réduire le personnel diplomatique canadien en Inde, qui pourrait être quasiment divisé par deux. L’inde veut donc asphyxier la diplomatie canadienne et le milieu d’affaires qui travaille avec l’Inde. Dans le but de faire payer un prix politique, au gouvernement canadien de Justin Trudeau, pour les accusations publiques et pour le manque d’action contre les mouvements indépendantistes sikhs.

De manière générale, les médias, largement contrôlés par le gouvernement, adoptent sa ligne nationaliste et combattent les accusations de Justin Trudeau. Par contre, les étudiants sont inquiets de cette guerre diplomatique : plus de 200 000 jeunes indiens partent étudier au Canada chaque année, et craignent que ces mesures ne ralentissent la délivrance de visas ou ne compromettent leur sécurité au Canada.

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New Delhi soutient depuis des années que les groupes indépendantistes sikhs opérant au Canada représentent un danger pour la sécurité de l’Inde. Cette diaspora a servi à soutenir et financer la rébellion indépendantiste qui a ensanglanté le Pendjab indien dans les années 80, faisant des centaines de morts. Aujourd’hui, ces groupes serviraient de couverture à des activités criminelles. Hardeep Singh Nijjar était le président d’un important temple sikh de Colombie Britannique. Il était aussi recherché depuis une dizaine d’années par l’Inde qui l’accusait de complot dans un attentat à la bombe contre un cinéma du Pendjab, ou de trafic d’armes entre le Pakistan et le Pendjab. Hardeep Singh Nijjar était sous le coup d’un mandat d’arrêt d’Interpol, comme plusieurs autres membres de ce mouvement accusé de crimes similaires. New Delhi a partagé ces dernières années ces renseignements avec Ottawa, pour demander leur arrestation ou extradition, mais sans résultat. Et cela aurait pu entraîner la frustration de l’Inde, qui aurait décidé d’agir et d’abattre ce militant indépendantiste canadien.

Le Canada abrite la communauté sikh la plus importante du monde en dehors de l'Inde

Pour plusieurs observateurs, le Canada veut montrer aux autres pays qu’ils n’ont pas le droit d’intervenir sur son territoire. Les autorités canadiennes auraient reçu des informations par écoute électronique de ses alliés, ce que confirme l’ambassadeur américain à Ottawa. Des conversations interceptées entre des employés à l’ambassade indienne laisseraient entendre que les services secrets de ce pays ont joué un rôle dans le meurtre de Hardeep Sing Nijjar. En rendant en partie ces informations publiques, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, prend les devants. Ces derniers mois, ses adversaires lui reprochent d’ignorer les menaces que reçoivent les citoyens canadiens originaires de Chine de la part de leur ancien gouvernement. Sans oublier la possible ingérence chinoise dans des élections canadiennes. Cette fois-ci, Justin Trudeau a voulu frapper un grand coup en prenant position pour les Sikhs du Canada.

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La suspension de la délivrance de nouveaux visas aux Canadiens par l'Inde est une véritable catastrophe pour les très nombreux citoyens canadiens qui ont de la famille en Inde. Cela arrive aussi à un mauvais moment alors que le Canada vient de lancer une offensive commerciale vers cette région du globe il y a moins d’un an. La signature d’un traité de libre-échange entre les deux pays est en suspens et les entrepreneurs canadiens ne savent plus trop sur quel pied danser. Les universités s’inquiètent également. L’Inde constitue le premier pays d’où viennent les étudiants étrangers, ce qui joue un rôle déterminant pour leurs finances. Autre point important, les traditionnels alliés comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la France évitent de prendre fait et cause dans cette histoire. Ils laissent le Canada porter seul les accusations contre les services secrets indiens, ne voulant surtout pas fâcher un partenaire commercial aussi important.

Les 800 000 Sikhs canadiens forment le groupe le plus important de cette minorité hors de l’Inde. Et traditionnellement, le parti libéral au pouvoir au Canada entretient des liens importants avec cette communauté. Cet appui explique sans doute en grande partie le bras de fer actuel avec l’Inde.

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