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Répression en Birmanie : les États-Unis condamnent, la Russie et la Chine temporisent

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, l'attitude des États-Unis, de la Russie et de la Chine devant le coup d'état mené en Birmanie par la junte militaire.

Article rédigé par franceinfo - Dominique André, Jean-Didier Revoin et Grégory Philipps
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une manifestation en moto d'opposants au coup d'état, le 31 mars 2021. (HANDOUT / DAWEI WATCH)

Le Conseil de sécurité de l'ONU se réunit mercredi 30 mars en urgence pour tenter, malgré ses divisions, d'apporter une réponse à la crise en Birmanie où la junte militaire poursuit sa répression meurtrière, poussant Washington à ordonner le départ de ses diplomates. L'attitude de Pékin et Moscou, elle, est plus mesurée.

Washington condamne fermement

Pas plus tard que dimanche, Joe Biden a évoqué la répression en Birmanie, qualifiée d’absolument scandaleuse. "C’est terrible ce qui se passe là-bas, a commenté le président américain, et beaucoup de gens ont été tués de manière absolument inutile." De son côté, le Département d’Etat continue de réclamer officiellement la libération de tous ceux qui sont actuellement détenus. Il faut a dit le patron de la diplomatie américaine Anthony Blinken que le régime militaire cesse ses attaques contre les manifestants, les membres de la société civile, les journalistes et les syndicalistes.  

Parallèlement, face à cette situation qui se détériore, le Département d’état vient d’ordonner l’évacuation de tous ses personnels diplomatiques non essentiels, même si pour l’instant l’ambassade des États Unis à Rangoon reste ouverte. Les États-Unis suivent en tout cas de très près ce qui se passe là bas : on se souvient que l’ouverture de ce pays, dirigé par les militaires pendant des décennies, avait été dans les années 2010 l’un des succès diplomatiques de l’administration Obama.  

Sanctions économiques et commerciales

D’autre part, Washington a adopté mi-février toute une série de sanctions et de mesures contre le régime birman pour affaiblir les militaires au pouvoir, dès le début des premières manifestations et de la répression : c’est Joe Biden lui-même qui depuis la Maison Blanche avait prononcé cette allocution. Avec, en sus, des sanctions financières à l’égard des généraux birmans et de leurs familles, le gel de leurs avoirs placés aux États-Unis.

Il y a cinq jours, le Trésor américain a annoncé une nouvelle série de sanctions visant cette fois les entreprises qui font du commerce avec le régime militaire. Mardi, Washington a par ailleurs suspendu un accord commercial qui avait été conclu en 2013 avec le gouvernement démocratiquement élu en Birmanie, suspension tant que les militaires n’auront pas rendu le pouvoir. En somme, des sanctions essentiellement économiques et financières pour tenter de faire plier les généraux qui ont pris le pouvoir depuis bientôt deux mois.

Moscou entre "inquiétude" et soutien stratégique

Peut-on considérer que la Russie reste un allié indéfectible des généraux qui ont pris le pouvoir en Birmanie ? C'est ce qu’on pouvait croire. Mais lundi, le porte-parole du Kremlin s’est livré à un commentaire sujet à interprétation concernant la situation actuelle en Birmanie. Dmitri Peskov a déploré la répression sanglante des manifestations pro-démocratie, allant jusqu’à se dire inquiet de l’importance croissante du nombre de morts civils. Il a encore souligné qu’en dépit des relations anciennes et assez constructives entre la Russie et la Birmanie, cela ne signifiait pas pour autant que Moscou approuve les événements tragiques en cours dans le pays. Jusqu’à ces déclarations, la Birmanie était considérée comme un allié loyal et un partenaire stratégique en Asie du sud-est.

Samedi dernier, le vice-ministre russe de la Défense assistait à un défilé militaire à Naypyidaw, la nouvelle capitale birmane. Des chars et des avions de combat russes y participaient et la semaine dernière encore, selon la défense russe, cette visite avait pour but d’approfondir la coopération militaire entre les deux pays.

Peut-on dès lors envisager concrètement que Moscou lâche le pouvoir birman ? Rien n’est impossible, mais la condamnation publique de la répression opérée par la junte militaire par le Kremlin traduit peut-être une volonté de la Russie de lâcher du lest sur la Birmanie, pour se ménager une marge de négociation plus importante dans d’autres dossiers que le Conseil de sécurité sera amené à examiner prochainement. On pense notamment à la situation en Ukraine ou en Syrie, sans parler du respect de libertés individuelles en Russie.

À Pékin, "préoccupation" mais pas condamnation

La Chine, l’un des principaux partenaires de son voisin birman, n’a jusque-là jamais condamné officiellement le coup d'État militaire du 1er février contre Aung San Suu Kyi, tout en appelant à la désescalade. La Chine est dans une position inconfortable : la Birmanie est un pays voisin de la Chine avec une frontière terrestre, or on sait bien que le gouvernement chinois redoute l’instabilité , et n’aime pas les troubles à ses frontières. Cette semaine encore, le ministère des Affaires étrangères à Pékin a redit être préoccupé par la situation en Birmanie, et a appelé à la désescalade. Sans condamner pour autant le putsch des militaires.

Mais la Chine a voté la déclaration du Conseil de sécurité de l'ONU il y a trois semaines, qui appelait à faire preuve de la plus grande retenue. Or critiquer les militaires est une première pour la Chine. Ce qui est sûr, c'est que la Chine a été au même moment très inquiète des incendies contre des usines à capitaux chinois basées à Rangoon, avec la montée d’un sentiment anti-chinois qui a inquiété le gouvernement central à Pékin.

Des condamnations non censurées sur les réseaux sociaux

Il fut un temps, pourtant, où Aung San Suu Kyi pouvait compter sur la Chine comme un pays allié. Xi Jinping s'est ainsi rendu en Birmanie en janvier 2020, où il a été reçu par Aung San Suu Kyi, cheffe du gouvernement birman. Pékin avait aussi déroulé le tapis rouge à la dame de Rangoon en 2015, puis officiellement en 2016.

Sur les réseaux sociaux, les violences perpétrées par l’armée birmane font par ailleurs réagir : Weibo, le Twitter chinois, enregistre 470 millions de vues. "Je ne comprends pas pourquoi la Chine ne s'exprime pas, écrit un homme, bien que nous n’intervenons pas dans les affaires intérieures d’un autre pays, il s’agit d’un crime contre l’humanité..." "Le gouvernement des militaires a trahi son peuple, ajoute un autre internaute. Il est voué à l’échec !" Le plus intéressant, dans cette affaire, est que ces commentaires n'ont pas été effacés par la censure chinoise.

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