franceinfo conso. Peut-on vraiment manger local ?
Peut-on réellement s’alimenter grâce aux productions de sa région ? C'est une enquête du magazine "60 Millions de consommateurs". Des précisions avec Patricia Chairopoulos.
Manger local, une utopie ? C'est le sujet d'une nouvelle enquête du magazine 60 Millions de consommateurs ce mois-ci. Patricia Chairopoulos est l'auteur de ce dossier.
franceinfo : Le manger local, c’est encore l’une des conséquences du coronavirus et du confinement ?
Patricia Chairopoulos : Oui, d’une part parce que, pendant le confinement, beaucoup de consommateurs ont accordé plus d’attention à la qualité de leur alimentation, liée à la santé. De plus, les fermetures partielles de marchés en plein air et les réticences à fréquenter les grandes surfaces, pour éviter la promiscuité avec les autres clients, les ont poussés à s’intéresser au local et aux circuits courts. Acheter directement à un producteur limite les contacts.
L’alimentation, c’est important pour les Français ?
Bien-sûr ! D’abord parce que bien manger fait partie intégrante de notre culture, et nous sommes fiers de cette tradition culinaire. Et pendant le confinement, l’alimentation est redevenue une priorité pour la plupart des Français, surtout que les denrées basiques comme la farine, le pain, les œufs devenaient parfois difficiles à trouver. Le fait même de se nourrir, a mobilisé une partie de notre temps et de notre énergie durant le confinement.
Mais qu’est-ce qu’on entend par manger local ? Est ce qu’il y a des règles précises pour définir l’alimentation de proximité ?
Le local est un terme non réglementé ; il désigne une production réalisée grosso modo à moins de 150 km du point de vente. Quant au circuit court ou de proximité, il implique seulement que la transaction ne fasse pas intervenir plus d’un intermédiaire ; par exemple les produits peuvent être achetés en direct, à la ferme ou au marché, ou par le biais d’un intermédiaire, artisan ou distributeur.
Ça veut dire qu’il ne faut pas confondre le "local" avec les circuits courts ?
Exactement. On peut acheter de la viande en circuit court en la commandant à un producteur situé à l’autre bout de la France. Et à l’inverse, on peut acheter du local via de nombreux intermédiaires, par exemple si le producteur passe par un grossiste, qui vend à son tour à un détaillant ou au supermarché du coin.
Bon, mais est-ce que le local garantit la qualité ? Est-ce qu’on est sûr d’avoir des produits de saison par exemple ?
Le local garantit a priori des produits frais et de bonne qualité, ne serait-ce que parce que les teneurs en vitamines, minéraux et saveurs ne se perdent pas au fur et à mesure du circuit de distribution. Quant à la saisonnalité, elle est garantie puisque le producteur vend ses denrées, au fur et à mesure de leur production, et de fait, il ne s’agit pas de produits importés. Plus globalement, la saisonnalité est inhérente au local.
Est-ce qu’on peut dire que la proximité garantit la traçabilité des produits ? C’est plus simple ? Plus transparent ?
Oui, acheter directement au producteur implique que l’on reprend un peu le pouvoir sur notre alimentation, on recrée du lien avec le mode de production des aliments qui a été souvent perdu en achetant en grandes surfaces. Avec la proximité, les consommateurs peuvent généralement rencontrer les producteurs, leur poser des questions, voire visiter leurs exploitations. Donc oui, cela assure plus de transparence, et de toutes façons sans celle-ci, la confiance se perdrait rapidement entre producteurs et consommateurs. Plus simple, ça dépend si l’on habite en milieu rural ou urbain. Avec le confinement, beaucoup de drives fermiers se sont créés à la campagne, tandis qu’en ville, on a vu le réseau des Amap (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) augmenter leurs offres et leurs lieux de distribution des paniers. Sans oublier les commandes en ligne.
Et en termes de prix ? Il y a une différence ?
Théoriquement, les prix des produits achetés en direct sont moins élevés que dans la grande distribution puisqu’il n’y a pas d’intermédiaires. Cela étant, un kilo de tomates d’un petit producteur du Var restera plus cher qu’un kilo de tomates espagnoles cultivées dans d’immenses serres. Il faut comparer ce qui est comparable.
Ce qui est intéressant, c’est qu’on a l’impression que le confinement a entraîné un retour aux valeurs locales comme une certaine forme de protection, c’est fréquent ça en temps de crise ? C’est une façon de se rassurer ?
En cas de crise, certains sociologues évoquent une économie de disette et un retour à la terre. On fait le gros dos en attendant que cela passe, on adopte la sobriété, cela rassure de revenir à notre savoir faire ancestral ; ainsi beaucoup de Français ont fait leur pain pendant le confinement.
Le problème quand même c’est qu’il y a aussi une certaine forme d’opportunisme, on le voit bien dans certains supermarchés, on met en avant le bio, le local, le produit de la terre, il y a beaucoup de marketing autour de ça, et parfois les prix explosent ?
La grande distribution joue le jeu, bien-sûr ! Cela fait d’ailleurs un certain temps que les enseignes mettent en avant les producteurs locaux de quelques fruits et légumes, tout en proposant, à côté, des produits qui viennent de l’autre bout du monde. Pour l’heure et même d’un point de vue philosophique, le local comme le circuit court sont essentiellement le fait de structures déconnectées de la grande distribution.
Le confinement a favorisé l’alimentation de proximité, c’est vrai, et aujourd’hui ? C’est toujours la tendance ou pas ?
Les ventes en circuit court auraient déjà chuté de moitié, même si elles restent de 20 à 30% supérieures aux niveaux d’avant le confinement. C’est toujours tendance, mais il y a de nombreux freins au changement dans la durée, à commencer par la difficulté des consommateurs à changer leurs habitudes d’achat, et celle des producteurs à s’organiser et à proposer davantage de variétés et en quantités suffisantes.
Ça veut dire qu’il faut une complète réorganisation de la production agricole pour que le manger local devienne une habitude et s’inscrive dans le temps ?
C’est trop tôt mais dans l’absolu, oui, il faudrait une relocalisation générale des productions agricoles, du moins pour les variétés poussant sous nos latitudes. Notre société commence à être prête pour le changement, mais il faut aussi une volonté politique.
Mais certaines grandes villes ont quand même déjà commencé à relocaliser certaines productions ? En Languedoc-Roussillon, en pays de la Loire aussi.
Des villes visent déjà l’autonomie alimentaire comme Montpellier, qui favorise le développement des fermes urbaines, des jardins partagés, la relocalisation de l’agriculture autour du réseau urbain. Mais ça se complique sérieusement au niveau d’un département, ne serait-ce qu’à cause de l’hyperspécialisation des régions, certaines sont centrées sur la viticulture, d’autres sur les céréales, etc. Et en plus, certains départements ne comptent tout simplement pas assez de surfaces agricoles pour nourrir toute la population qui y vit.
Ça veut dire que l’autonomie alimentaire est une illusion ?
Pour l’heure, à l’échelle de la France et avec notre politique agricole, oui, c’est une illusion. On peut par ailleurs se demander si elle est totalement souhaitable, dans le sens où cette autonomie alimentaire, si un jour elle existe, ne doit pas entraîner un repli sur soi. Il faudra alors trouver le juste équilibre entre ressources locales et échanges mondiaux. Sans eux, nous ne boirions pas de café ni de thé au petit déjeuner.
Quelle est la clé alors ? Qu’est-ce qui fera bouger les choses ?
Pour faire bouger les choses et c’est incontestable qu’il faut les faire bouger vers plus de production locale, seul le contre-pouvoir des citoyens peut être efficace. Déjà on voit se dessiner une conscience collective vers une réduction des énormes exploitations agricoles, qui détiennent une grande partie des terres cultivables.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.