Services publics : "Allô ? Répondez !"
Parlons maintenant d'un sujet qui fâche. Que se passe-t-il quand on n'a pas Internet et que l'on doit effectuer une démarche administrative ? On prend son téléphone tout simplement, à l'ancienne. Sauf que là, c'est le parcours du combattant qui commence. Lionel Maugain, journaliste au magazine 60 Millions de consommateurs, signe une grande enquête dans le numéro de février, sur les difficultés pour joindre les services publics quand on ne peut pas utiliser le web.
franceinfo : Franchement, les résultats de votre enquête sont déconcertants ?
Lionel Maugain : Oui, il y a quand même un tiers des Français qui ont des difficultés à utiliser l'outil, et qui n'ont même pas forcément l'outil. Donc, on a voulu savoir comment pouvaient faire ces citoyens qui ont les mêmes droits que les autres, pour avoir accès à une carte vitale, une aide au logement. Donc on a testé les services publics, on a appelé la CAF, Pôle emploi, l'assurance retraite et l'assurance-maladie. On a passé 1500 appels, et ces appels étaient passés par des profils très précis : une personne âgée qui faisait répéter l'agent, quand il y en avait un au bout du fil, une personne avec un fort accent étranger qui ne maîtrisait pas bien la langue, et une personne qui disait qu'il n'avait pas Internet.
Quelles sont les administrations les plus déficientes et pourquoi ?
La pire, c'est l'assurance-maladie, parce que dans les trois-quarts de nos appels, on n'a eu personne au bout du fil. C'est un résultat qu'on peut qualifier de catastrophique, simplement pour refaire sa carte vitale. Et bien, les gens sont parfois laissés pour compte, sans possibilité d'utiliser le web et sans personne au téléphone.
C'est mieux pour Pôle emploi, par exemple ?
À Pôle emploi, oui, les résultats sont quand même globalement positifs puisque 8fois sur 10, on a eu quelqu'un au bout du fil. La question était l'indemnisation d'un CDD de six mois, dans une grande surface, et on a eu des réponses correctes. Même si certains agents nous ont renvoyés sur Internet.
Ça veut dire que beaucoup de gens ne peuvent pas faire valoir leurs droits. Et quels sont les principaux touchés ? Les seniors, en majorité ?
Oui, plus on avance en âge, plus on a des difficultés à l'usage d'Internet, et donc plus on a besoin de quelqu'un de physique pour expliquer sa situation, que ce soit au téléphone, ou dans les accueils physiques. Mais, on a remarqué aussi que les 18-25 ans étaient beaucoup plus nombreux que le reste de la population, à avoir des difficultés à remplir un formulaire en ligne. On peut parfaitement être fort dans les réseaux sociaux, et puis être en galère quand il s'agit de s'adresser à l'administration, avec son jargon parfois difficilement compréhensible.
Vous aviez déjà fait un test semblable en 2016. Ça veut dire que rien n'a changé en sept ans ou très peu ?
Alors, il y a quand même des choses positives qui ont changé. D'abord, quand on appelle, on n'est plus surtaxé, parce que, rappelez-vous avant, les appels à l'administration étaient surtaxés. Ensuite, on avait constaté, à l'époque, des discriminations liées à l'origine ou à l'âge, chose qu'on n'a pas revue cette fois-ci. Et les agents sont globalement – quand on en a la chance d'en avoir un – très polis, très disponibles et très courtois. Malheureusement, leur réponse n'est pas toujours à la hauteur de notre demande. Quand on vous dit qu'on n'a pas Internet et que la personne, même poliment, vous dit : consultez notre site, ça tourne en rond, et ça peut rendre fou.
Comment expliquer que les administrations soient aussi mal adaptées aux besoins de ceux qui n'ont pas Internet ? Ce n'est pas une obligation d'être sur le web !
On a, comme à chaque fois, soumis les résultats de nos tests aux intéressés, aux organismes concernés. Et ce qu'ils nous disent, c'est que depuis la pandémie, les gens semblent avoir un fort besoin d'avoir un contact humain. Et donc, il y a eu un doublement des coups de fil, auprès de ces différents organismes depuis 2019, si bien qu'ils sont débordés. Et ils ont bien du mal à recruter des téléopérateurs en nombre. Et c'est pour ça, ils reconnaissent bien volontiers que, malheureusement, il n'y a personne au bout du fil, dans la plupart des appels.
Vous avez longuement interrogé la défenseure des droits, Claire Hédon, que dit-elle ? Est-ce que l'État s'intéresse au problème ?
Non seulement, on l'a interrogée, mais on a fait ce test en partenariat avec la défenseure des droits parce que c'est le premier motif de saisine du défenseur des droits. C'est le problème d'accès au droit administratif. Donc, pour elle, c'est clair et pour nous aussi, on s'est beaucoup adapté aux exigences de l'administration. Quand il s'agit de dématérialisation, à un moment donné, il faut aussi que l'administration s'adapte à la situation, et aux compétences de certains de ces usagers. Il faut remettre des agents au bout du fil, et il faut rouvrir des points d'accueil, où on aurait un représentant de chaque administration, pour orienter les personnes qui sont perdues et dénouer les problèmes administratifs.
Enquête de Lionel Maugain, auprès de la Caisse d’allocations familiales, AMELI, Pôle emploi et la CARSAT, la caisse d’assurance-retraite.
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