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Renforcer la place des accords d’entreprises : une révolution

Manuel Valls a décidé de lancer un nouveau chantier, il l’a annoncé hier : comment renforcer la place des "accords d’entreprise". Si cela a l’air anodin, cela pourrait cacher une véritable révolution de notre droit social.
Article rédigé par Vincent Giret
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Franceinfo (Franceinfo)

 Depuis des semaines déjà, le Premier ministre cherche comment redonner de la souplesse à notre modèle social, jugé, vous le savez, trop complexe, trop lourd, et surtout trop loin des réalités du terrain et de la nécessité des entreprises de s’adapter sans cesse plus vite. Manuel Valls tente de se frayer un chemin entre deux écueils politiques : d’un côté l’inertie traditionnelle et le conservatisme des partenaires sociaux qui n’avancent qu’à pas minuscules, et de l’autre coté la fragilité de sa majorité qui ne tient plus qu’à un fil dès lors qu’il est question de réformer le marché du travail. 

Le Premier ministre semble donc avoir trouvé la parade : ne retirons rien au sacro-saint Code du travail, mais accordons plus de place, voire une place centrale, à ce qui est négocié sur le terrain, c’est à dire dans l’entreprise. C’est dans cet esprit qu’il a annoncé hier qu’il confiait une mission à l’un de nos meilleurs experts du social, le haut fonctionnaire Jean-Denis Combrexelle afin de renforcer la place des accords d’entreprises.

Sur le fond, qu’est-ce que ça changerait ?

Si le projet allait à son terme, beaucoup de choses ! Le temps de travail, les salaires, l’organisation, tout ou presque pourrait être décidé dans l’entreprise, dès lors que serait signé un accord majoritaire avec les représentants des salariés. Le "contrat" primerait ainsi sur la "loi". L’entreprise aurait la liberté de déroger aux réglementations générales.

On échapperait ainsi aux grands messes nationales, plus habitées - c’est vrai - par la passion du théâtre que par l’esprit de réforme, mais on échapperait aussi aux grandes lois dites historiques, décidées par le pouvoir politique et tombant d’en haut tel un couperet, comme par exemple celle de Martine Aubry sur les 35 heures.  Resterait simplement un cadre général allégé, qui là s’appliquerait à tous, rappelant les droits fondamentaux : l’égalité homme-femme, la liberté syndicale, le droit aux congés payés, c’est à dire ce qu’on range sous l’expression l’ordre public social.

C’est une bonne idée ou pas ?

C’est habile en tout cas, mais il y a quand même de gros risques. Habile, parce que le Premier ministre contournerait ainsi les difficultés politiques qui limitent sa marge de manœuvre, on l’a vu par exemple sur tout ce qui touche le contrat de travail. Mais en semblant proposer une "inversion des normes sociales" dans notre pays, c’est à dire, en faisant en sorte que ce qui serait signé dans l’entreprise puissent être moins favorable aux salariés, moins protecteur que  la loi nationale, on fait émerger un risque de fuite en avant.

Car si toutes les entreprises disent qu’elles ont besoin de plus de souplesse, on ne peut pas simplement déléguer la réforme aux salariés et à leurs représentants, comme si le pouvoir politique n’était plus à même d’assumer la responsabilité de grandes réformes. C’est en fait tout le problème français qui apparaît derrière ce projet social tout sauf anodin.

**Vincent Giret, du journal Le Monde

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