Riad Sattouf se réjouit de la chute de Bachar al-Assad : "Rien ne pouvait être pire et rien ne pourra être pire"
"Ce qu'on pensait de toute éternité et absolument impossible à changer peut être balayé comme ça, en quelques heures" : Riad Sattouf se dit surpris par la rapidité avec laquelle le régime de Bachar al-Assad a chuté. Connu notamment pour la série L'Arabe du futur, le dessinateur et auteur de bande dessinée est lui-même franco-syrien, et il témoigne sur franceinfo de son enthousiasme, alors qu'une partie de sa famille réside encore là-bas : "Les membres de ma famille qui habitent encore en Syrie n'en reviennent pas. Ils sont extrêmement contents, pleins d'espoir et de joie."
Prudent, il leur confie toutefois ses doutes : "Je leur demande si ça ne risque pas de devenir une autre dictature". À la tête des mouvements rebelles, le mouvement HTS, composé de groupes islamistes rigoristes, ex-branche d'Al-Qaïda, interroge le monde entier. "J'espère que ça ne va pas être comme en Iran quand Khomeini est revenu. Vous avez d'abord un espoir et ensuite, c'est une autre terrible dictature qui s'installe". Pour l'instant, Riad Sattouf, comme le reste des Syriens, pense davantage à la libération du pays, alors que l'heure est à la fête. "C'est un grand soulagement, un grand espoir de se dire que c'est le moment pour les Syriens de saisir une occasion complètement historique" s'enthousiasme-t-il.
francinfo : Très simplement, Riad Sattouf, quel sentiment vous habite depuis 36 heures et la chute de Bachar Al-Assad ?
Riad Sattouf : De manière très simple, c'est vrai que c'est un grand soulagement, un grand espoir aussi de se dire que c'est le moment, pour les Syriens, de saisir une occasion quand même complètement historique : la fin de cette dictature des Assad qu'on avait fini par penser complètement éternelle. C'est difficile de retenir une sorte de joie, même si évidemment les plus grands défis sont encore à venir. Pour le moment, on peut quand même être vraiment ravis.
On a vu ces images, ces scènes de liesse, la statue de Hafez Al-Assad, le père de Bachar Al-Assad, qui tombe. Leurs visages sont très présents dans L'Arabe du futur. Vous vous imaginiez les voir tomber de votre vivant ?
Honnêtement, pour vous dire la vérité, non, pas vraiment. Je pense que beaucoup de Syriens pensaient, un peu comme moi, que c'était vraiment un régime profondément autoritaire et extrêmement accroché, qui contrôlait toute la société par la peur, la terreur. Les gens n'osaient pas parler. On se disait que c'était quelque chose qui serait très difficile à dépasser. Et là, que ça se passe si vite, dans des conditions comme ça ! Avec finalement, même si cela a été quand même parfois violent, une révolution qui s'est passée presque sans heurts, c'est profondément surprenant.
De toutes les scènes qu'on a vues à la télé, sur les réseaux, quelle est l'image la plus marquante pour vous, Riad Sattouf, celle que vous auriez envie de dessiner dans un album historique, un jour ?
Il n'y a pas vraiment d'image particulière. Moi, ce sont plutôt les contacts que j'ai pu avoir avec les membres de ma famille qui habitent encore en Syrie qui n'en reviennent pas, qui sont extrêmement contents et qui sont pleins d'espoir et de joie. Alors, après, bien sûr, moi, je leur dis : mais est-ce que ça ne risque pas de devenir une autre dictature ? Évidemment, on pense tous la même chose : remplacer un dictateur par un autre dictateur... Mais pour le moment, on n'est pas encore complètement dans ce genre de crainte. Tout est possible en Syrie, il faut quand même regarder ce qui va se passer. Mais voilà : ce qu'on pensait de toute éternité et absolument impossible à changer peut être balayé comme ça, en quelques heures. C'est incroyable.
Votre dernier livre, Moi, Fadi, le frère volé, raconte l'histoire de votre frère. Il vit toujours en Syrie ?
C'est une très bonne question, mais je garderai cela pour mes livres (rires). Mais c'est vrai que j'ai gardé des contacts, le village de Ter Maaleh où se passe l'aventure de Moi, Fadi, le frère volé, a été bombardé par les forces du régime la veille de la chute d'Assad. Ce qui prédomine, c'est vraiment une joie et un sentiment de soulagement, notamment par le fait que cette révolution s'est passée sans exactions pour le moment. Rien ne pouvait être pire que les Assad et rien ne pourra être pire. Maintenant, on croise les doigts pour que ce soit le cas ! Mon aspect pessimiste vous dirait que je pourrais revenir assez rapidement là-dessus, mais ce n'est peut être pas encore le moment d'être pessimiste !
Il n'y a pas de peur chez les personnes que vous avez eues au téléphone ?
Non, pour l'instant, non. Et surtout, ils pensent que tout va aller pour le mieux. C'est la libération qui provoque ça et moi, personnellement, j'espère que ça ne va pas être comme en Iran quand Khomeini est revenu : vous avez d'abord un espoir et ensuite, c'est une autre dictature terrible qui s'installe pour ne plus jamais partir. Maintenant, je ne connais pas assez la Syrie de l'intérieur pour vous dire si c'est possible ou pas. J'aurais tendance à penser que ce ne sera pas possible parce qu'il y a vraiment de nombreuses communautés. Mais seul l'avenir nous le dira.
Comme auteur, comme scénariste, vous avez là sous les yeux, peut-être, la matière première du reste de votre vie...
C'est difficile à dire ! En tout cas, c'est une évolution de l'univers des personnages qui est assez hallucinante, c'est vrai. Et maintenant, tous les grands défis attendent les Syriens. Une espèce de réconciliation nationale. Le fait de surtout éviter la vengeance et la haine. De protéger les minorités, y compris religieuses, les chrétiens d'Orient, les alaouites, qui ne doivent pas être des victimes de la révolution.
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