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"Le monde selon Gabriel" d’Andréi Makine

Article rédigé par Philippe Vallet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
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Nous savons que nous sommes mortels mais pour surmonter à tout instant cette condition, nous devons nous acharner à créer.
C'est ce qu'écrit Andrei Makine, l'inoubliable auteur du "Testament français", Prix Goncourt, dans son nouveau livre "Le monde selon Gabriel". Une pièce de théatre, entre le roman et le conte, pour dénoncer avec férocité la tyranie des consciences et saluer la liberté du poète.

« Le monde selon Gabriel », d’Andréi Makine est publié au Rocher (158p., 18E)

Note : ****

Note de l'éditeur

Alors que le mur avance et rétrécit l’espace, quatre comédiens, sous les ordres d’un Grand Imagier avec qui on ne communique que par portable, mettent en scène, pour être diffusés mondialement auprès de 9 millions de téléspectateurs, des tableaux édifiants, la République guidant le peuple, le choc des civilisations, la fin de l’Histoire, la Guerre des religions.

L’objectif de la troupe est de remporter l’audience totale des 9 milliards d’individus télévisuels qui habitent la Terre. Le nombre de récalcitrants, les non-spectateurs, baisse, passant de 52 000 à 1 600, 410, 53, 24, 7, puis un seul, pour le plus grand bonheur du Grand imagier.

Les acteurs jouent dans un cadre qui figure la télé, le lecteur devenant spectateur. Au pied du cadre se trouve Gabriel, écrivain, à présent enchaîné sur le devant de la scène, qui a publié un livre révolutionnaire dans lequel il démontre que chaque être humain n’a sur terre que 20 000 jours de bonheur possible, et que le temps passe inexorablement. Ce livre a provoqué des réactions en chaîne, appelant à un Carpe diem généralisé. Il était temps qu’une reprise en main intervienne.

C’en est alors fini de l’Age tiède, sorte d’eldorado mou, temple de la consommation et du consensus, qui ressemblait à s’y méprendre à un boboland des années 2000. Une reprise en mains des esprits s’imposait, via la télévision.
Demeurent de façon lancinante et la question de savoir ce qu’il y a de l’autre côté du mur, et le souvenir des temps anciens qui entremêlent les destins.

En face de l’écrivain enchaîné, un balayeur noir, l’homme parole, double de l’homme qui écrit, assiste en témoin, spectateur du théâtre qui se fait, et commentateur du monde tel qu’il est devenu.

Mais le temps, symbolisé par le mur qui avance et qui réduit l’espace vital, transformant la scène en cellule, s’emballe, rendant quasi impossible la tâche des comédiens, réduits pour s’assurer de l’audience totale, à jouer un dernier tableau, Le Théâtre Français d’aujourd’hui, une pirouette qui les met en scène dans leur propre vie.

Makine nous livre ici tout à la fois un conte moderne, une satire du monde d’aujourd’hui, la caricature et la mise en scène des vies minuscules et splendides des comédiens qui n’ont pas su être les acteurs de leur propre vie.

Le Monde selon Gabriel est une réflexion acerbe sur le destin, la mort de l’homme qui ne sait plus aimer, la force des souvenirs, la domination des icônes, et le poids inexorable des médias contemporains.

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