Colson Whitehead : "Journaliste et écrivain, ce sont deux outils différents pour décrire le monde"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 17 octobre 2024 : le romancier américain Colson Whitehead. En octobre 2024, il publie "La règle du crime", la suite de "Harlem Shuffle" aux éditions Albin Michel.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'écrivain américain Colson Whitehead au Festival America 2024 à Vincennes, France, le 27 septembre 2024. Tous les deux ans, ce festival met à l'honneur la littérature nord-américaine et accueille des dizaines d'auteurs nord-américains. (STEPHANE MOUCHMOUCHE / HANS LUCAS VIA AFP)

Colson Whitehead est un romancier américain adulé par la qualité de son écriture, le choix des mots utilisés, toujours justes, et même des décors qu'il crée. Ce n'est donc pas un hasard s'il est l'un des rares écrivains à avoir remporté deux fois le prix Pulitzer de la fiction en 2017 et en 2020. À cela, il faut aussi parler du public qui l'accompagne depuis des années et qui l'a élevé au rang des auteurs américains les plus lus à travers le monde. En octobre 2024, il publie La règle du crime la suite de Harlem Shuffle aux éditions Albin Michel ou comment détourner les codes du roman noir pour nous plonger en plein cœur du New York des années 60.

franceinfo : Le premier gros travail que vous avez effectué, c'est effectivement de nous mettre en immersion totale dans ce New York où la criminalité était à tous les coins de rue et tout à la fois où il y avait une source d'espoir.

Colson Whitehead : Sans espoir, comment va-t-on de l'avant ? Beaucoup de livres portent sur des voleurs, des criminels, des gens qui s'échappent qui vont en Zambie et il faut espérer qu'il y ait un endroit, en fait, d'espoir dans toute cette dévastation, si vous êtes un esclave et que vous vous enfuyez. Par exemple, si vous êtes Ray Carney, un petit malfrat, vous pouvez, vous devez espérer vous évader de votre origine et arriver à être quelqu'un de respectable.

Nous sommes donc à Harlem dans les années 60. Ray Carney est le fils d'un malfrat local qui a eu une éducation très particulière. Il possède une entreprise qu'il a envie de faire tourner. S'il n'a pas forcément envie de se frotter à la criminalité, il est happé par celle-ci. Et c'est cette dualité que vous nous racontez. Ce roman pourrait être une chronique criminelle.

Je veux que ça soit vrai. C'est un fourgue, un receleur. Quand j'ai fait des recherches, je me suis rendu compte que beaucoup de receleurs ont de véritables magasins qu'ils vendent de vraies choses et dans leur boutique, ils font tout leur business illégal. Pour moi, c'est la nature divisée, avec un côté qui fait face au monde et l'autre qui est la face cachée, de chacun.

Êtes-vous nostalgique de ce New York des années 60 disparu ?

Je suis toujours en train de me promener en disant : "ah oui, c'était ce magasin de chaussures, ça, c'est l'endroit où j'avais l'habitude d'aller", mais tout change, à tout moment. Le premier livre, c'est à New York à un moment où je n'y étais pas. C'était le New York de mes parents, et c'est une manière de me rapprocher d'eux. C'était un jeune couple qui tentait de construire une famille de la même façon que Ray Carney tente de le faire.

Il y a un regard tout aussi important sur la réhabilitation. C'est important pour vous ?

J'ai vraiment beaucoup de personnages dans ces livres. Je veux qu'ils soient beaucoup de gens. Je veux que vous puissiez vous voir, pas seulement chez Ray Carney, mais aussi chez les méchants, ceux qui sont en deuxième ligne.

"Cela fait partie de mon travail de créer plein de personnages, de trouver de l'humanité dans quelqu'un qui est très méchant et aussi parfois de trouver la vilenie chez quelqu'un dont vous aimez le personnage."

Colson Whitehead

à franceinfo

Ils sont en chair et en os ces personnages, d'où les tirez-vous ?

J'essaie de m'amuser avec ça. Ce roman n'est pas très autobiographique, sauf quand je parle de la ville. Il y a tellement d'énergie et du plaisir de cette ville. Je veux capturer cela. J'ai écrit mon deuxième livre pendant la pandémie et j'écrivais aussi à un moment où New York était vraiment dans une situation difficile. La ville était en faillite. Mais même pendant que j'écrivais, j'écrivais sur un New York qui n'était pas dans cette situation. Donc pour moi, capturer cela est très important et ça me fait me sentir partie de cette grande ville et m'apporte beaucoup.

À quel âge avez-vous eu envie, petit garçon, de prendre la plume et de raconter vos histoires ?

J'aimais beaucoup rester à la maison, regarder à la télévision les Twilight Zone, et lorsque j'ai eu huit ou neuf ans, j'ai voulu écrire des films d'horreur et de science-fiction comme Stephen King. Très jeune, j'ai pensé qu'être écrivain, c'était très cool. On pouvait écrire de la maison, on pouvait rencontrer des gens et inventer des trucs toute la journée.

Tout est compacté, mais il y a un vrai travail de documentation dans votre façon d'écrire. Est-ce que vous vous sentez toujours journaliste ou est-ce que vous vous sentez écrivain-journaliste ?

Journaliste et écrivain, ce sont deux outils différents pour décrire le monde. J'ai toujours voulu écrire de la fiction. Quand j'écrivais pour le Village Voice, j'ai pu me livrer à mon goût pour la non-fiction. La non-fiction et la fiction sont deux façons de rendre compte du monde. On peut faire des choses dans un roman et inventer des choses que vous ne pouvez pas faire dans le journalisme. À son tour, le journalisme a cette immédiateté que vous ne pouvez pas toujours avoir dans un roman.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.