"Elle a répété sa mort toute sa vie" : avec "La Rivale", Éric-Emmanuel Schmitt plonge dans l’univers de La Callas
Éric-Emmanuel Schmitt est un amoureux des mots, de la vie, un raconteur et même un faiseur d'histoires. Sa plume, ses réalisations se sont imposées rapidement dans le paysage littéraire, cinématographique et théâtral, avec à la clé de nombreux prix et des Molière. Ses livres comme La part de l'autre (2001), Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran (2001), Oscar et la Dame rose (2002) ou encore L'enfant de Noé (2004), cette immense déclaration d'amour à votre mère, Journal d'un amour perdu (2019), ont su toucher, convaincre, accompagner.
Après une saga sur l'humanité en huit volumes, soit 5000 pages, "La traversée des temps" en 2021, Éric-Emmanuel Schmitt publie, jeudi 28 septembre 2023, La Rivale, aux éditions Albin Michel. Il s'agit d'un hommage personnel qu'il souhaitait rendre à Maria Callas et à l'esprit de la Scala, ce théâtre habité par le souvenir de la cantatrice et par un public à la fois chevronné et érudit.
franceinfo : La Rivale est un hommage, construit comme un témoignage, raconté à travers l'histoire triste d'une mystérieuse vieille dame, Carlotta Berlumi, qui se définit comme ancienne grande rivale de la cantatrice grecque. On mesure comme il a été difficile de lutter contre la Callas. Le 2 décembre prochain, Maria Callas aurait eu 100 ans et pourtant, elle semble toujours être bien présente.
Éric-Emmanuel Schmitt : Oui, c'est définitivement une légende, sinon un mythe. Elle a été celle qui représentait mieux que personne les héroïnes des opéras, mais elle était elle-même un personnage d'opéra, c'est-à-dire avec une dimension tragique. C'est quelqu'un qui part de loin, de la misère. Elle conquiert le public par sa voix. Mais le temps la rattrape plus vite que les autres, à un âge où une cantatrice, normalement, est au sommet de sa gloire, elle, elle a des problèmes vocaux. Elle disparaît et elle va mourir seule, dans une tristesse extrême à Paris. Donc elle ressemble aux héroïnes qu'elle a incarné. Je voulais raconter Callas en creux. J'ai voulu partir d'un personnage confronté à ce phénomène du siècle, "Callas", puisqu'elle chante en même temps que Callas. Décrire Callas à travers quelqu'un qui la déteste et qui ne comprend pas du tout ce dont il s'agit. Elle dit : "Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Cette femme qui se traîne par terre parce que son amant est parti, qui meurt et qui fait pleurer toute la salle." Elle ne comprend pas finalement à quel point l'opéra est un art qui monte haut quand il est totalement assumé par les gens qui le font.
Ce qu'on comprend surtout, c'est la place des cantatrices et ce qu'elles vivent. On se rend compte à quel point les rôles qu'elle incarne sur scène ne peuvent que les abîmer à terme.
Mais effectivement, si on a une âme artiste, ses rôles sont dévorants. Callas a interprété des sacrifiées. Quasiment tous ses personnages mourraient sur scène. Elle a répété sa mort toute sa vie.
Dans vos œuvres, vous abordez Mozart, Beethoven, Verdi, énormément de compositeurs. Et là, vous vous attaquez à la Callas. Et quand on vous lit, on se rend compte qu'il y a une vraie musicalité, comme une partition de musique. Est-ce que vous êtes un musicien ou un chef d'orchestre ?
"Je suis un écrivain qui écrit avec la nostalgie de ne pas avoir été musicien."
Éric-Emmanuel Schmittà franceinfo
J'ai été sauvé par une femme qui chante. J'avais 15 ans, je faisais cette dépression des adolescents et j'avais planifié mon suicide, mon départ. J'étais dans ces conditions-là. Et puis on m'a emmené à l'opéra et une femme est entrée et elle s'est mise à chanter et pendant quatre minutes, la beauté, ma sortie de mon marasme, je me suis dit : s'il y a des choses comme ça sur terre, je reste.
Vous avez réagi tout à l'heure quand j'ai parlé du fait que vous étiez un raconteur d'histoires ou même un faiseur d'histoires. Ça vous convient comme terme ?
Faiseur d'histoires dans le bon sens du terme, bien sûr ! Je me sens un conteur. Dans tous les cas, je raconte des histoires.
L'écriture vous a donc permis de vous trouver, peut-être de vaincre votre "timidité" de départ ?
Moi, me connaître... Je ne suis pas un grand partisan de l'exploration intérieure. Socrate disait : "Connais-toi toi-même", moi, je dis toujours : "Méconnais-toi toi-même". Je n'ai pas envie de toucher à cet équilibre ou à ce déséquilibre qui me rend heureux et fécond.
Le point commun à tout ça, que ce soit l'écriture, la réalisation, le cinéma, le fait de monter sur scène, j'ai le sentiment que c'est la sensibilité qui vous habite. Est-ce que c'est difficile au quotidien de gérer cette sensibilité-là ?
Cela a été longtemps. C'est d'ailleurs pour ça que quand j'avais 17-18 ans, j'ai décidé que je ferai des études très intellectuelles, si possible de philosophie, pour essayer de me donner une structure, une colonne vertébrale, qui m'empêcherait de m'effondrer sous les émotions qui me tombaient dessus.
"J'ai longtemps eu peur de mourir d'émotion. Je pense que la philosophie et ensuite les mots, pouvoir articuler enfin les émotions et en faire quelque chose, ça m'a sauvé."
Éric-Emmanuel Schmittà franceinfo
Avec Callas, on a le sentiment que c'est le même processus, mais avec sa voix. Le fait de chanter l'a sauvée à plusieurs reprises et finalement, ça finit par la détruire. Comment décririez-vous Maria Callas ?
Je crois qu'elle était totalement dévouée à son art. Quand on entend ses interviews, c'est extraordinaire. Elle dit : "Nous sommes sur Terre pour transmettre la vie, en transmettant l'art, la beauté". Je crois qu'elle avait vraiment le sentiment d'avoir réussi sa mission. Seulement, avoir réussi son devoir, cela ne rend pas forcément heureux.
Je me demandais quel était votre instrument préféré ? La voix, l'écriture, la scène, vous mêlez tout.
La voix. Définitivement.
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