"Fleurs de soleil" : Thierry Lhermitte, seul en scène, incarne le chasseur de nazis Simon Wiesenthal
Thierry Lhermitte est acteur, scénariste, auteur de théâtre et producteur de cinéma. C'est le théâtre qui l'amène vers la vie d'artiste, tout d'abord avec la troupe du Splendid et la pièce qui a changé sa vie, Amour, coquillages et crustacés (1977), adaptée au cinéma par Patrice Leconte et devenue Les Bronzés. Le cinéma a ensuite pris le relais avec des films devenus cultes comme Le Père Noël est une ordure (1982) ou encore à Papy fait de la résistance (1983) de Jean-Marie Poiré. Plus tard, en 1998, Le dîner de cons de Francis Veber sera aussi un vrai succès.
C'est seul en scène au théâtre Antoine qu'on le retrouve du 16 au 25 mars 2023, pour six représentations exceptionnelles, dans la pièce Fleurs de soleil, adaptée du livre de Simon Wiesenthal Chasseur de nazis, dans laquelle il questionne le pardon.
franceinfo : À travers cette pièce adaptée du livre de Simon Wiesenthal, Chasseur de nazis, l'auteur racontait sa rencontre en 1942 avec un soldat SS rongé par les remords et qui lui demandait pardon, le pardon d'un juif. On rappelle qu'il a perdu 89 membres de sa famille et Simon confessera ne pas lui avoir accordé ce pardon. Le problème, c'est que cela l'a travaillé toute sa vie. Ça a été très difficile pour vous de dire oui ?
Thierry Lhermitte : Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'on me propose ça. J'avais lu ce bouquin par hasard et l'avais transmis à Jean-Marc Dumontet, qui est producteur. Il a eu l'idée d'en faire un spectacle et m'a dit : "Je l'ai fait adapter". Je lui demande pour qui, "Eh bien pour toi". J'étais un peu coincé et puis je me suis lancé et j'en suis très heureux. Tous les soirs, je suis heureux d'aller parler de ce sujet aux gens.
Ce qui est fou d'ailleurs, c'est quand on vous voit sur scène, on sent à quel point vous avez lâché prise.
Le fait de parler aux gens, puisque j'interprète Simon Wiesenthal qui explique ce qui lui est arrivé, bizarrement, ça m'a enlevé le trac. C'est drôle, j'ai toujours interprété évidemment, mais là, je fais mienne son interrogation.
Le contexte de ce récit reste la Shoah, mais il s'adresse finalement à tous les génocides, tous les crimes contre l'humanité. On pense au Cambodge, au Rwanda, même à la guerre en Ukraine actuellement avec la Russie. C'est très actuel, ça fait peur.
Et puis ça se passe en Ukraine. Alors, j'ai rajouté dans le texte que cette ville de Lvov, dans laquelle ça se passe, s'appelait Lviv à l'époque et Lemberg quand elle était allemande-autrichienne. Parce qu'en fait cette zone a changé dix fois de nationalité au début du XXᵉ siècle. C'est là qu’on réalise que c'était juste là, à côté.
Contexte très actuel. Vous dites une phrase extraordinaire : "L'homme est une question de persévérance".
Oui. C'est-à-dire que la dernière lettre, qui a été écrite par un écrivain roumain, dit : "L'homme est une question de persévérance. Vers quoi ? Eh bien, la civilisation n'est pas un acquis, ce n'est pas un acquis, c'est un travail continuel sur soi-même et les autres, dans la direction indiquée par l'expérience et par l'espoir".
Ce qui est fou d'ailleurs, c'est qu'on découvre aussi à travers cette pièce, à quel point celui qui est innocent, celui qui a subi, culpabilise à l'idée de ne pas avoir accepté ce pardon.
Parce que le pardon... Évidemment, on ne lui demande pas de pardonner aux nazis ni au nazisme, on demande à une personne individuelle, chez qui la justice va passer sous forme d'une mort prochaine, une vraie demande de pardon, de remords et de réalisation de l'horreur de ce qu'il a commis. Donc c'est là où le problème se pose.
Il y a toujours ce travail de famille, finalement, dans tout ce que vous faites. La troupe était une famille, devenue votre famille de cœur. Je me demandais comment vous étiez petit garçon, ce que vous avez gardé de votre famille.
"Je n'étais pas un petit garçon très, très heureux. J'ai eu tout le temps le sentiment de ne pas avoir envie d'être là."
Thierry Lhermitteà franceinfo
Ce sentiment de ne pas avoir envie d’être là tient à la fois d’un contexte familial et puis de la personnalité qui est la mienne, qui aime bien être un peu en dehors.
Le théâtre, c'était quoi ? C'était une façon aussi de devenir l'homme que vous souhaitiez être, de faire ce que vous aviez envie de faire ?
Non, je n'avais aucune vocation. C'est la rencontre avec mes camarades, Christian Clavier, Gérard Jugnot et Michel Blanc qui m'a emmené là-dedans. Je pense que si j'avais rencontré des gens qui faisaient totalement autre chose, j'aurais fait autre chose, honnêtement. En même temps, c'est quand même sympa de rigoler tout le temps, d'avoir ça en commun et en même temps des réflexions. On n'arrêtait pas de discuter de tout, de la vie, de la coiffure, de politique, de philosophie en rigolant. Et c'est toujours le cas, j'ai déjeuné avec Christian Clavier il y a quelques jours. On adore discuter de tout.
Vous vous êtes beaucoup protégé entre vous. Je me demandais comment vous aviez vécu cette ascension, finalement, parce que vous aimiez être dans "l'ombre".
Pour ce qui nous concerne, oui. On commence tous ensemble, c'est une protection, c'est une famille, on n'est pas connus. Voilà, on se tient chaud. Et puis les films commencent à marcher un petit peu, Les Bronzés, Le Père Noël est une ordure. Certains commencent à tourner séparément et du coup, moi aussi.
"J'étais triste que l'aventure du Splendid se termine parce que c'était le cas, et en même temps, on était pris par ce qu'on tournait et ça s'enchaînait."
Thierry Lhermitteà franceinfo
Il y a aussi un regard sur le temps qui passe dans cette pièce de théâtre. Finalement, le temps fait qu'on continue à se poser les mêmes questions, à avoir les mêmes obsessions de vouloir y répondre aussi. Comment vivez-vous ce temps qui passe ?
Ça ne m'a jamais trop préoccupé, mais là, 70 ans en 2022... Là, ça fait un petit coup, je vous le dis franchement. 60, bon... 70, ça met un petit coup, maintenant, comme cela ne fait pas longtemps, je pense que je vais un peu oublier, mais mon corps va se charger de me le rappeler. Pour l'instant, ça va, je n'ai pas trop de limitations.
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